Au début de l’année 2018, le Vatican et l’Eglise catholique frôlent le «François-gate». Retournant sur ses terres latino-américaines, le pape jésuite visite le Chili, un pays où il a vécu quelque temps. Un voyage au cours duquel il apporte, malgré les réserves de l’épiscopat chilien, un soutien appuyé à un évêque, Juan Barros, qui fut un proche d’un des plus grands pédocriminels du pays, l’ex-prêtre Fernando Karadima. A une journaliste qui l’interrogeait sur cette affaire, François avait brutalement rétorqué qu’il n’y avait aucune preuve, sous-entendant qu’il s’agissait d’une instrumentalisation politique. Quelques semaines plus tard pourtant, l’agence de presse américaine Associated Press lâchait une bombe : une lettre de victimes de Karadima avait été transmise au pape avant son voyage au Chili. L’un de ses proches collaborateurs, le cardinal américain Sean O’Malley, président de la Commission pontificale pour la protection des mineurs, adressait des remontrances publiques au pontife romain. François avait-il menti en disant qu’il n’était pas averti des manquements de Barros dans l’affaire Karadima ? Cela paraissait de plus en plus évident. Mais en fin politique, le pape argentin reprenait les choses en main, envoyait deux hommes de confiance enquêter au Chili, convoquait à Rome les évêques chiliens, les contraignait à la démission et recevait les victimes. Il aura fallu l’habilité (et la rudesse) de François pour retourner la situation. Et faire prendre enfin à son pontificat une nouvelle tournure en matière de lutte contre les violences sexuelles dans l’Eglise catholique. Car le dossier, pour brûlant qu’il soit, ne semblait pas être jusqu’alors une de ses priorités.
Disparition
C’est donc à la fin de l’été 2018, cinq ans après son élection, que le pape publiait une Lettre au peuple de Dieu, sorte de mea culpa collectif reconnaissant les graves manquements de l’Eglise catholique et la nécessité de changements urgents. Dans son texte, François demandait à tous les catholiques de participer à la lutte contre les violences sexuelles. Quelques semaines plus tard, en février 2019, un sommet mondial des chefs des épiscopats se réunissait à Rome pour définir une politique commune en la matière. Et dans la foulée, le pape promulguait un motu proprio (une sorte de décret) créant l’obligation de signaler les cas de violences sexuelles, et pour la hiérarchie catholique, de les traiter. Cela peut paraître une évidence, mais dans les faits, c’est un changement d’attitude conséquent même si l’injonction papale n’est pas partout appliquée. Si le Vatican n’a pas enjoint de dénoncer les crimes sexuels à la justice des hommes, c’est que dans nombre de pays, les instances judiciaires ne présentent pas, aux yeux de Rome, toutes les garanties de respect des droits humains.
Quoi qu’il en soit, un changement de culture a eu lieu sous le pontificat de François. Avec ses limites… Dans les affaires de pédocriminalité, la prescription est levée quasiment systématiquement au regard du droit interne de l’Eglise catholique, ce qui permet des sanctions de plus en plus nombreuses à l’égard des clercs pédocriminels. En revanche, François – qui a lui-même apporté son soutien à des prêtres incriminés en Argentine – a régulièrement semblé minimiser la gravité des violences sexuelles. Concernant l’une des grandes affaires de pédocriminalité en France, l’affaire Preynat dans la région lyonnaise, le pape a longuement tergiversé à «démissionner» le cardinal archevêque de Lyon Philippe Barbarin, compromis dans ce dossier. Avant de s’y résoudre in fine et un peu contre sa volonté. Le pontife catholique a aussi marqué ses distances à l’égard du rapport de la Ciase (1), publié début octobre 2021 et qui avait provoqué un énorme choc en France. «Lorsque vous réalisez une étude sur une période aussi longue, vous risquez de confondre la façon de voir le problème il y a soixante-dix ans avec la façon de voir maintenant», déclarait le pape à ce sujet. Malgré la demande des autorités catholiques françaises, le pape n’a jamais reçu les membres de la Ciase. Une manière de prendre ses distances avec un constat sans concession ?
(1) La Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise a publié un rapport de 2500 pages, résultat de plus de deux ans de travaux établissant des faits d’agressions sexuelles ou de viols dans l’Eglise catholique en France depuis les années 1950, évaluant le nombre de victimes à plus de 300 000.