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Histoire

Pape en Corse : comment un chant religieux est-il devenu l’hymne de l’île ?

Pape Léon XIVdossier
Le «Dio vi Salvi Regina» conclura la messe du souverain pontife, en déplacement à Ajaccio ce dimanche. Il a été un chant de ralliement contre la domination génoise au XVIIIe siècle, avant d’être ravivé en polyphonie dans les années 70.
Le pape François dans sa papamobile sur le boulevard Charles-Bonaparte lors de son voyage apostolique à Ajaccio en Corse, le 15 décembre. (Manon Cruz/Reuters)
publié le 15 décembre 2024 à 10h38

A la fin de la messe du pape François, ce dimanche après-midi au parc du Casone à Ajaccio, la Corse tout entière va se lever pour entonner d’une seule voix le Dio vi Salvi Regina. «Ce sera un grand moment», promettait, vendredi matin, Gilles Simeoni, le président du Conseil exécutif corse. Cet hymne religieux est devenu, en tant que tel, celui de l’île. Et de ce côté-ci de la Méditerranée, personne ne crie au crime contre la laïcité. Les Corses, de fait, tiennent beaucoup à ce chant. «Il marque les grands événements, raconte Laetitia, une retraitée qui habite le centre d’Ajaccio. Le Dio vi est chanté à la fin des cérémonies religieuses importantes et à la fin de tous les enterrements

«Dio vi Salvi Regina, E madre Universale, per cui favor si sale Al Paradiso», en constitue la première strophe. Ce qui peut se traduire par : «Que Dieu te garde, Ô reine et mère universelle par qui on s’élève jusqu’au paradis.» Bref, il n’y a aucune ambiguïté sur le caractère religieux du Dio vi, sur sa dévotion manifeste à la Vierge Marie, qui structure la religiosité populaire de l’île. Même si quelques mots ont été remplacés par des mots corses, le texte est majoritairement écrit en italien. Ce qui ne manque pas non plus d’étonner, tant l’animosité a été forte entre l’île et l’Italie, notamment pendant qu’elle était sous la domination de Gênes (jusqu’à la fin du XVIIIe siècle).

L’hymne est fruit d’une histoire intéressante. Le Dio vi, en fait, est une version populaire d’un chant consacré à la Vierge Marie qui a été chanté dans toute l’Europe chrétienne, le Salve Regina. Celui-ci est encore présent dans la liturgie catholique, célébré souvent à la fin des offices. La version qui subsiste comme hymne des Corses a été écrite vers 1675 par un jésuite italien, François de Geronimo, né à Grottaglie dans les Pouilles. Dessinateur, poète, il était l’apôtre des pauvres à Naples. Connus pour être de grands intellectuels et former l’élite dans leurs établissements scolaires, les jésuites sont aussi très engagés auprès des plus démunis. C’est à ce courant qu’appartient le pape François, ce qui l’inscrit dans une parenté forte avec le créateur de ce qui est devenu l’hymne corse.

A Naples, François de Geronimo crée donc de nombreuses chorales dans les quartiers populaires. Et compose pour celles-ci une version populaire de Salve Regina. Le chant connaît un succès foudroyant au cours du XVIIIe siècle avant de disparaître de la mémoire collective. Nul ne sait comment l’hymne est arrivé en Corse. Par les liens avec les pêcheurs napolitains qui fréquentaient les eaux de Bonifacio ? Par les missions jésuites très actives dans l’île au XVIIIe siècle ?

Lors du soulèvement de la Corse contre Gênes en 1735, le Dio vi devient en tout cas l’un des cris de ralliement des insurgés. Comme en Italie, l’hymne, dans l’île, tombe dans l’oubli. Sa résurrection a lieu au XXe siècle, à partir des années 1970, au moment du «riacquistu» : le mouvement de réappropriation culturelle, notamment à travers le chant polyphonique, autre marqueur important de la culture corse.