Attendu par plus d’1,6 milliard d’adeptes à travers le monde, le coup d’envoi du Ramadan, rendez-vous annuel le plus sacré de la culture musulmane, sera donné ce lundi 11 mars. La date exacte, qui évolue tous les ans, n’a été révélée que ce dimanche, lors de la Nuit du doute, qui détermine la date officielle de commencement du mois saint par l’observation du premier croissant de Lune dans le ciel. La Cour suprême saoudienne a déclaré que «le lundi 11 mars 2024» marquera bien «le début du mois béni du ramadan pour cette année», a indiqué SPA, l’agence de presse officielle de l’Arabie saoudite, qui abrite les lieux les plus sacrés de l’islam.
Contrairement au calendrier géorgien, le calendrier islamique suit les phases lunaires avec des mois de 29 à 30 jours. C’est à un comité d’observation de la Lune basé en Arabie Saoudite, que revient la tâche de fixer le début et la fin du ramadan chaque année. Mais avec un croissant pâle et visible durant seulement une vingtaine de minutes, cette tâche se révèle délicate. Si les conditions météorologiques ne permettent pas l’observation du croissant à l’œil nu, de savants calculs entrent alors en compte pour déterminer la présence de la Lune dans le ciel. La première journée démarre le lendemain de cette observation.
Le ramadan est l’occasion pour les musulmans d’observer le jeûne (saoum) de l’aube jusqu’au coucher du soleil, un des cinq piliers de l’islam. Deux repas jalonnent les journées du mois saint. Le suhoor, petit-déjeuner pris avant le lever du soleil au moment de la première prière du jour, le fajr. Puis la rupture du jeûne, l’iftar, qui débute après la prière du coucher du soleil, maghreb. Tout au long de ce mois sacré, les musulmans s’abstiennent également de boire ou encore d’avoir des relations sexuelles, du lever au coucher du soleil. Des pratiques obligatoires, à quelques exceptions près : notamment pour les femmes enceintes, les voyageurs, les personnes âgées ou encore les malades. Si un jour est manqué, il peut être rattrapé, soit à la veille du ramadan suivant, soit à un autre moment de l’année.
Recherche de signification récente
La pratique du jeûne n’a pas réellement d’explication coranique profonde. La recherche de signification dans la pratique du jeûne est même assez récente, explique Michaël Privot, islamologue et directeur du Conseil musulman de Belgique. «Ce questionnement est apparu a posteriori avec le déplacement de l’islam dans de nouvelles aires culturelles, et l’entrée massive de nouveaux pratiquants dans cette religion.»
Plusieurs interprétations sont alors posées sur la table. Essayer de ressentir ce que les plus pauvres vivent chaque jour, comme on l’entend souvent ? «Complètement bidon», rétorque l’islamologue. Aujourd’hui, certains chercheurs s’accordent plutôt sur le fait qu’un jeûne sec de trente jours étant assez rude, sa pratique, commandée par dieu, permettrait aux musulmans de renforcer leur piété ou at-taqwa, sorte de reconnaissance ultime envers dieu. D’autres théologiens plus critiques considèrent au contraire que la plupart des obligations religieuses n’ont pas de sens précis. «Ce serait plutôt aux musulmans de faire un effort individuel pour remplir cette pratique de sens par et pour eux-mêmes», ajoute Michaël Privot.
Une tradition d’abord religieuse donc, mais aussi culturelle. Les moments collectifs de partage pour fêter la rupture du jeûne sont un incontournable du mois saint. Au milieu des innombrables plats et spécialités culinaires qui rythment le ramadan à travers le monde, un fruit en particulier revêt une grande symbolique aux yeux des croyants : les dattes, aliment consommé par Mahomet pour rompre son jeûne originel.
A l’issue du ramadan, l’Aïd-el-Fitr vient clore ce mois de célébration. Trois journées de fête où chacun se rassemble pour manger, prier et célébrer la mémoire de ses ancêtres disparus, même si en France, l’Aïd ne dure en général qu’une soirée. Une seconde Nuit du doute permet d’en confirmer la date exacte à l’approche de la fin du ramadan.
Des origines millénaires
Bien avant l’arrivée de l’islam, le mot ramadan correspondait au neuvième mois du calendrier islamique et provient de la racine arabe «ar-ramad» qui signifie «chaleur intense». Selon Martin Plessner, académicien émérite d’études islamiques en Allemagne durant les années 30, émigré en Palestine avec l’arrivée des nazis au pouvoir, cette étymologie est liée au calendrier luni-solaire préislamique où le neuvième mois tombait en été.
Dans la théologie, les origines de cette tradition remontent à l’an 610, où l’ange Gabriel aurait révélé le Coran au prophète Mahomet durant le mois de ramadan. Une révélation qui porte le nom de Laylat al-Qadar, ou Nuit du destin. Un des rendez-vous les plus importants du ramadan, très chargé spirituellement, explique Michaël Privot. «Il est dans la croyance commune des musulmans que ce serait durant cette nuit que Dieu descendrait jusqu’au ciel le plus bas pour pardonner les péchés de tous ceux qui se repentent avec sincérité.»
En revanche, sa date précise ne fait l’objet d’aucun consensus. Par convention, les croyances communes s’établissent sur la 27e nuit du ramadan, mais elle pourrait en réalité advenir chaque soir impair passé le 20e jour, soit la 21e, 23e, 25e, 27e ou 29e nuit. Lors de ces soirées hautement symboliques, les mosquées affichent des taux d’affluence records, avec des prières spécifiques (Tarawih) qui durent parfois une nuit entière. Pour le dire plus simplement, le mois sacré permet ainsi aux musulmans de célébrer et de commémorer collectivement la révélation du Coran, mais aussi de se rapprocher de dieu et de «remettre les compteurs à zéro avec lui», souligne Michaël Privot. Cette année, la nuit du destin devrait intervenir autour du 5 avril.
Pratiques culturelles éclectiques
Si les obligations religieuses sont sensiblement les mêmes à travers le monde, «la célébration du mois saint est déclinée de façons variées en fonction des aires culturelles», rappelle Michaël Privot, qui insiste sur les pratiques éclectiques des croyants.
En Turquie par exemple, des joueurs de tambours vêtus de costumes traditionnels ottomans déambulent à travers les rues pour sonner la première prière du jour. Tout comme au Maroc, où les Nafars marocains ont la responsabilité de réveiller à temps les habitants.
En Egypte, d’innombrables lanternes colorées jalonnent les rues. L’origine de ces lanternes remonte au temps du califat fatimide dont le règne s’est étendu du Xe au XIIe siècle. Selon la légende, lorsque le calife et son entourage se sont rendus au Caire lors du premier jour du ramadan, les habitants ont éclairé les rues sombres de la ville avec des bougies afin de les accueillir.
Aux Emirats arabes unis, à l’instar d’Halloween en Occident, la journée Haq Al Laila invite les enfants à se draper de tenues colorées pour aller réclamer des sucreries auprès des habitants de leur quartier. Au Liban, des coups de canons avertissent la population de la rupture du jeûne chaque soir. Baptisée Midfa-al-Iftar, cette tradition ancestrale trouverait son origine dans un coup de canon accidentel tiré à la tombée de la nuit il y a des siècles.
Mise à jour à 18h50 : le ramadan commencera bien ce lundi 11 mars, annonce la Cour suprême saoudienne.