L’odeur de brûlé prend à la gorge dès la place du Vieux-Marché, où Jeanne d’Arc perdit la vie. Rue de la Vieille-Prison, la petite porte bleue, sur le côté de la synagogue de Rouen, porte encore les traces de l’estocade des pompiers. Le lieu de culte de 200 familles de l’agglomération a été attaqué vendredi au petit matin par un homme armé d’un cocktail molotov et d’armes blanches, qui a été abattu par la police rapidement déployée sur place. Il était visé par une obligation de quitter le territoire français (OQTF), «non exécutable» car il avait engagé un recours, et était inscrit au fichier des personnes recherchées. Devant le bâtiment de pierre de taille, aux vitraux ornés d’étoiles de David, l’accueil républicain est solennel : le pire a été évité.
Accompagné d’Elie Korchia, président du Consistoire central israélite, Gérald Darmanin a fait le déplacement ce vendredi matin pour apporter son soutien à la communauté et au maire de la ville. Soulignant que les consignes visant à protéger les lieux de culte avaient été respectées, le ministre de l’Intérieur a condamné «un acte d’une violence inacceptable» contre «un lieu sacré pour la République».
Deux jours après l’attaque de fourgons pénitentiaires dans laquelle trois agents ont été tués à 25 km de la ville, il a également rendu hommage aux pompiers et aux forces de police. «Un jeune homme de 25 ans a sans doute sauvé des vies ce matin en faisant usage de son arme administrative», a-t-il expliqué. Le maire PS de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, a affirmé : «Ce n’est pas seulement la communauté israélite qui a été touchée. C’est toute la ville de Rouen qui est meurtrie et sous le choc.»
«Climat anxiogène»
«Ce n’est pas une tentative d’acte antisémite, comme on a pu l’entendre : tout a brûlé à l’intérieur», soutient Laura Kalfon, avocate de l’Association cultuelle israélite de Rouen. «C’est une communauté très familiale, ouverte. Le climat est anxiogène donc je n’ai pas été très surprise, mais par contre choquée, oui», explique-t-elle. Alors que les analyses scientifiques étaient toujours en cours en milieu d’après-midi, l’avocate espérait encore pouvoir célébrer shabbat le soir même, dans l’édifice. Construite en 1865, 90 % de ses fidèles avaient été déportés pendant la Shoah. Cette synagogue emblématique, qui avait servi de poste de secours, avait été détruite par les bombardements alliés, avant d’être reconstruite en 1950.
«Nous sommes bouleversés, explique Chmouel Lubecki, rabbin de la synagogue. Ce matin, sur le groupe WhatsApp, nous étions hébétés. Mais nous avons un mot d’ordre : ne pas céder à la peur. Ce soir, la communauté se retrouvera pour le shabbat et chacun allumera les lumières pour éclairer les ténèbres.» A l’intérieur, la suie a recouvert les bancs qui portent les noms des fidèles. La Bimah (plateforme où on lit les textes sacrés) est détruite. Mais les rouleaux de la Torah, eux, ont été épargnés.
«Le cœur intelligent»
En fin de journée, une foule d’une centaine de personnes s’est retrouvée devant l’édifice religieux. «Le roi Salomon a dit “donne moi un cœur intelligent”», introduit le maire PS de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol. Entouré de son équipe municipale, des représentants des cultes juifs, musulmans et catholiques, l’édile veut rassembler autour d’un mot d’ordre, le vivre ensemble. Les frères Lowe, Peter, 17 ans, et Samual, 13 ans, ont enjoint leur mère à venir pour «lutter contre l’antisémitisme». Frédéric Terrier, qui travaille au rectorat de Rouen, est venu quant à lui pour montrer que «la majorité silencieuse n’est pas antisémite, que nous avons le cœur intelligent».
Dans la foule, un visage familier : Latifa Ibn Ziaten, la mère d’Imad Ibn Ziaten, victime du terroriste islamiste Mohammed Merah. C’était une évidence pour Rouennaise de venir se recueillir auprès de la communauté juive rouennaise. «Ma ville est touchée et ma place est à ses côtés.» Tous les jours sur le terrain pour lutter contre la montée de la haine, la militante garde tout de même espoir. «Nous devons travailler sur notre héritage», dit-elle.