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Libération
Violences sexuelles

Un prêtre condamné pour viol sur mineur en 2006 nommé chancelier du diocèse de Toulouse

La promotion de l’abbé Dominique Spina par l’archevêque Guy de Kérimel provoque la polémique alors que l’Eglise catholique tente de tourner la page de la pédocriminalité.
(Pascal Deloche / Godong/Getty Images)
publié le 8 juillet 2025 à 11h57

Une nomination qui provoque l’incompréhension, alors que l’Eglise catholique tente de montrer patte blanche après les nombreux scandales de pédocriminalité dans ses rangs. L’archevêque de Toulouse a désigné début juin un prêtre condamné pour viol sur mineur en 2006 comme nouveau chancelier, poste à haute responsabilité au sein du diocèse, selon un décret publié sur son site internet rendu public lundi 7 juillet par le quotidien régional la Dépêche du Midi. La nomination est censée prendre effet le 1er septembre.

Dominique Spina a été condamné en 2006 en appel à Tarbes (Hautes-Pyrénées) alors qu’il était prêtre du diocèse de Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) à cinq ans de prison dont un avec sursis pour le viol d’un lycéen de 16 ans en 1993.

Dans un communiqué consulté par Libération, l’archevêque de Toulouse, monseigneur Guy de Kérimel, a expliqué avoir «pris le parti de la miséricorde […] en choisissant de nommer l’abbé Spina chancelier de la curie diocésaine», alors qu’il était depuis cinq ans employé aux archives, a-t-il précisé : «Il est vrai que l’abbé Spina a accompli une peine de cinq ans de prison dont un avec sursis pour des faits très graves qui se sont déroulés il y a près de trente ans», poursuit l’archevêque dans son communiqué.

Seulement une «fonction administrative» selon l’archevêque

Selon le site internet du diocèse, un chancelier est notamment en charge de l’établissement et de la conservation des actes officiels de l’archevêque, il apporte également aide et conseil sur l’administration des sacrements aux prêtres et aux paroisses.

Guy de Kérimel souligne que l’abbé «n’exerce plus de charge pastorale, sinon celle de célébrer l’eucharistie, seul ou exceptionnellement pour des fidèles. Considérant que nous n’avons rien à reprocher à ce prêtre depuis ces trente dernières années pour faits susceptibles de faire l’objet de poursuites judiciaires, canoniques ou civiles, j’ai donc choisi de le nommer dans cette fonction administrative», justifie-t-il, précisant que «par cette fonction, il est, de fait, notaire et secrétaire de la curie diocésaine. D’autre part, l’abbé Spina n’accompagne pas les couples au mariage». Il ne sera pas non plus chargé des enquêtes et procès canoniques.

En 2016, le prédécesseur de l’archevêque, Robert Le Gall, avait relevé de ses fonctions Dominique Spina «à sa demande», alors qu’il avait à l’époque repris l’office de prêtre en charge de l’ensemble paroissial Fronton-Bouloc-Castelnau d’Estrétefonds, près de Toulouse.

Colère et incompréhension dans les associations

Dans les colonnes de la Dépêche du Midi, Olivier Savignac, président de l’association Parler et Revivre, dénonce «une provocation» et affirme que le religieux a occupé les fonctions d’aumônier dans une école primaire près de Toulouse jusqu’en 2019 malgré sa condamnation. Il rappelle que «normalement, lorsqu’un prêtre a commis un ou plusieurs viols sur mineurs, il doit être renvoyé de l’Etat clérical. Pourquoi le diocèse de Toulouse n’a pas pris cette décision ? On se demande à quoi il joue».

Du côté de l’association Fraternité Victimes, qui vient en aide aux victimes d’abus dans l’Eglise, on se dit «sidéré» par cette décision. Les arguments utilisés par l’archevêque pour défendre ce choix ne l’ont pas non plus convaincue : «Parler de miséricorde pour défendre cette promotion, c’est tout bonnement scandaleux. On voit bien qu’il y a une véritable déconnexion de l’archevêque de Toulouse quand on voit les réactions» à cette annonce. Selon Mélanie Debradant, cette nomination est également contraire au droit canon de l’Eglise catholique : «Il est écrit dans le Code que le chancelier doit avoir une réputation intacte et être au-dessus de tout soupçon. Avec une condamnation pénale pour viol sur mineur et un emprisonnement, je pense qu’on peut dire que la réputation n’est pas intacte.»

Même son de cloche au sein de la fédération France Victimes. Son vice-président et porte-parole, Jérôme Moreau, observe : «Avoir des personnes qui ont une promotion au regard du fait qu’ils auraient une bonne conduite, c’est un bien mauvais message. D’autant plus pour la victime directe de ce prêtre, c’est extrêmement douloureux.» Mélanie Debradant renchérit : «C’est toujours dramatique d’avoir l’impression qu’on oublie ce que l’on a subi et que finalement ce n’était pas si grave. On se demande comment c’est encore possible en 2025.»

«Il était dans l’emprise et la perversité»

La victime justement. Dans Charlie Hebdo ce mardi 8 juillet, «Frédéric», dont le prénom a été changé, réagit à la nomination de Dominique Spina : «Il était dans l’emprise et la perversité. Il m’a agressé sexuellement et m’a violé à plusieurs reprises, avec violence et sous contrainte.» La victime était alors élève à Notre-Dame de Bétharram. C’est là que le directeur de l’établissement de l’époque, le père Carricart, a présenté Frédéric à Dominique Spina.

Aujourd’hui âgé d’une cinquantaine d’années, Frédéric a récemment porté plainte contre l’ancien directeur de l’établissement catholique, à présent décédé, pour agressions sexuelles : «L’abbé Spina n’arrive pas par hasard dans ma vie. Il arrive parce que le directeur de Bétharram, qui m’avait déjà agressé, me jette dans les bras d’un nouvel agresseur lorsqu’il comprend que mon projet de formation religieuse est sérieux. L’abbé Spina prend le relais dans ma formation, et dans ma souffrance.»

Frédéric assure à Charlie Hebdo «qu’il n’est absolument pas surpris» de la nomination. «Il a toujours bénéficié d’une très grande bienveillance. Dès le départ, tous les pontes de l’Eglise ont été très bienveillants à son égard, et cela continue assez logiquement. Prêtre, c’est le seul métier où vous réussissez à vous recaser malgré des crimes abominables», témoigne-t-il.

Jérôme Moreau, de France Victimes conclut auprès de Libération : «Si on peut considérer que le droit à l’oubli est important, le droit à la résilience l’est tout autant pour les victimes.»

Mis à jour à 19 heures avec davantage de contexte et les réactions de Mélanie Debradant, Jérôme Moreau, et «Frédéric» dans les colonnes de Charlie.