C’est une sorte de quadrature du cercle, un piège entre le marteau et l’enclume. Mise en place il y a un an, l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr) a reçu 1 133 demandes de la part de victimes de violences sexuelles dans l’Eglise catholique, selon son rapport annuel présenté ce jeudi à la presse. Ce qui est très peu au regard des estimations faites, il y a un an et demi, par la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase) qui avait abouti au chiffre de 300 000 personnes agressées ou violées dans les milieux catholiques depuis les années 50.
Témoignages
«Notre démarche est inédite», a rappelé la présidente de l’Inirr, Marie Derain de Vaucresson, pour expliquer les lenteurs dans le traitement des dossiers. Car même si l’instance a reçu un nombre limité de demandes, elle n’est pas encore en capacité de les traiter rapidement. «Actuellement, il faut en moyenne une année», a-t-elle précisé. Cette lenteur est régulièrement critiquée par les collectifs de victimes. Pour le moment, environ huit demandes parviennent chaque semaine à l’Inirr.
Faits d’une extrême gravité
En 2022, 131 victimes de pédocriminalité ont obtenu une indemnisation financière, fixée par l’Inirr. Cette instance traite les affaires concernant les prêtres rattachés à un diocèse. Pour ce qui est des congrégations religieuses, les personnes doivent s’adresser à la Commission reconnaissance et réparation, présidée par l’ancien magistrat Antoine Garapon. Le montant moyen des sommes versées s’élève à 38 000 euros. Limité à 60 000 euros, ce plafond d’indemnisations a été attribué à 33 personnes. En 2021, l’épiscopat catholique a créé, un fonds de dotation spécifique, le Selam, pour verser des indemnisations aux victimes de violences sexuelles dans l’Eglise. Doté de 20 millions d’euros au départ, il devra être prochainement abondé pour faire face aux demandes. C’est l’une des questions qui devraient être abordées à Lourdes, fin mars, lors de la prochaine assemblée plénière des évêques.
D’après le rapport annuel de l’Inirr, la moyenne d’âge des personnes qui demandent des réparations est de 63 ans. Les dossiers concernent 31 % de femmes ; ce chiffre constitue une surprise. Lors des investigations menées par la Ciase, les affaires de pédocriminalité dans l’Eglise catholique semblaient concerner une écrasante majorité d’hommes.
Les dossiers traités par l’Inirr concernent très majoritairement des faits d’une extrême gravité. Plus de 60 % des situations qui ont déjà donné lieu à des indemnisations financières concernent «un ou des viols». «58 % des situations de violences sexuelles se sont poursuivies plus d’un an, et 21 % ont duré plus de cinq ans», précise le rapport.
«Réparations symboliques»
Mettant l’accent sur l’individualisation du traitement des demandes, Marie Derain de Vaucresson souhaite développer ce qu’elle appelle «les réparations symboliques», c’est-à-dire celles qui sont autres que financières. «Beaucoup de victimes souhaitent témoigner», précise-t-elle. Ces «réparations symboliques» peuvent concerner un travail d’écriture, d’art-thérapie, obtenir des informations sur le prédateur ou des excuses de la hiérarchie, la fixation de plaques mémorielles…
A la fin de la présentation du rapport annuel de l’Inirr, un homme, victime de violences sexuelles il y a cinquante-sept ans dans le diocèse de Paris, a pris la parole pour remercier la personne qui l’avait suivi au sein de la commission. Evoquant leurs échanges, il a déclaré : «A chaque fois, le mal me quittait.» Marie Derain de Vaucresson a, elle, rendu hommage aux personnes qui ont fait le choix de s’engager dans un tel parcours : «Il faut un énorme courage aux victimes pour s’adresser à nous.»