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Vitraux du prêtre pédocriminel Louis Ribes retirés d’une église : pour les victimes, «une forme de réparation»

Pédocriminalité dans l'Eglisedossier
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Des vitraux du père Ribes, décédé en 1994 et qui a agressé des dizaines d’enfants pendant des décennies, ont été retirés mardi 24 octobre de l’église d’un village du Rhône après la mobilisation d’associations de victimes, pour qui cet évènement est «nécessaire à leur reconstruction».
La dépose de l'avant dernier vitrail de l'église dessiné par le père Ribes s'est effectuée mardi 24 octobre à Sainte-Catherine (Rhône). (Hugo Ribes/Item pour Libération)
par Maïté Darnault, envoyée spéciale à Sainte-Catherine (Rhône)
publié le 25 octobre 2023 à 15h22

Entreposés au sol en une cinquantaine de pièces détachées, ils ne sont plus qu’un amas de verre et de métaux. Il a fallu une quinzaine de jours pour que soient descellés les vitraux de la petite église de Sainte-Catherine, un village du Rhône au sud-ouest de Lyon. Plus jamais ils ne seront mis en lumière ou admirés comme des œuvres d’art. Ce mercredi 25 octobre, l’artisan chargé de leur dépose va ôter les derniers morceaux, laissant nue pour le moment la vitre qui doublait ces puzzles colorés réalisés entre 1971 et 1980 par le prêtre Louis Ribes. Désormais, ils ne sont plus que ce qu’ils ont toujours été : des «preuves de crimes», rappelle Annick Moulin. Cette quinquagénaire compte parmi les dizaines, peut-être centaines, de victimes de ce pédocriminel décédé en 1994. Surnommé le «Picasso des églises», créateur prolifique autant qu’agresseur en série, il prétextait l’inspiration pour se livrer à des attouchements et des viols sur des enfants lors d’ateliers artistiques entre les années 60 et les années 90.

«Un lien intrinsèque entre la création de ces dessins et les agressions»

A ce jour, 51 victimes se sont signalées auprès des diocèses de Lyon, Grenoble-Vienne et Saint-Etienne. Elles sont près de 70 à avoir pris contact avec le collectif des victimes. Il reste impossible de déterminer si ces chiffres se recoupent, tant que l’enquête du parquet de Lyon sur d’éventuelles complicités et non-dénonciations de crimes se poursuit. Mais l’Eglise n’en fait pas un mystère : il est peu probable que les crimes de Ribes, prêtre sans paroisse qui circulait à sa guise en Rhône-Alpes, se limitent à l’un ou l’autre de ces décomptes. «On peut au moins tripler si tout le monde déclare la moindre caresse, il y a des générations d’enfants abusés, beaucoup refusent de voir la vérité en face car ça fait trop mal», avait confié en mars 2022 à Libération Bruno, petit-cousin de Louis Ribes, qui affirme avoir été victime d’agressions sexuelles au milieu des années 80.

«Les séances de pose [des enfants] étaient un prétexte, il y a un lien intrinsèque entre la création de ces dessins et les agressions», a reconnu Laurence Robert, déléguée générale du diocèse de Lyon, mardi 24 octobre à Sainte-Catherine, lors d’une conférence de presse en présence de représentants du collectif des victimes. Dans huit lieux de culte du Rhône, de la Loire et de l’Isère, les tableaux du pédocriminel ont été décrochés en janvier 2022 et une fresque monumentale scellée a été démontée quelques mois plus tard. Restent une quarantaine de vitraux dans six églises du Rhône. L’institution catholique a «une vive conscience de l’importance de cette dépose dans le long chemin de réparation des victimes», a également souligné Laurence Robert. Le 4 août pourtant, le premier retrait de vitraux à Dième, autre village du Rhône, a eu lieu sans que le collectif de victimes ne soit associé «à cet événement pourtant nécessaire à leur reconstruction», avait alerté une porte-parole.

Des aides financières insuffisantes

Mardi, elles étaient trois à s’attabler au côté des représentants diocésains pour faire face aux journalistes, puisant dans leur courage pour dénoncer une nouvelle fois «les traumatismes qui vont nous suivre toute notre vie», a souligné Annick Moulin, qui affirme avoir subi des agressions sexuelles allant jusqu’à une tentative de viol. «La dépose de ces productions est une forme de réparation et de reconnaissance de ce qu’on a vécu», a-t-elle ajouté, avant d’adresser «une pensée à ceux qui nous ont quittés car il y a des victimes qui se sont suicidées, on a aussi ce devoir de mémoire». «Combien de religieux vont encore imposer leurs actes à des enfants ou des personnes vulnérables ? C’est humain de préférer ne pas entendre ces horreurs mais on doit encore faire progresser la société, faire que d’autres enfants ne connaissent pas ces agressions», a plaidé Luc Gemet, victime d’agressions et de viols durant près d’une décennie.

Pour lui comme pour les autres victimes, l’aide à l’accès aux soins psychologiques et les propositions de réparation financière restent insuffisantes, si ce n’est dérisoires. Présent mardi à Sainte-Catherine, Patrick, agressé par Louis Ribes au séminaire de Vienne, a entamé au printemps 2022 une démarche d’indemnisation auprès de l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation, financée par la Conférence des évêques de France. Un an plus tard, il a reçu une somme de plusieurs dizaines de milliers d’euros. «Il y a un certain soulagement, a-t-il expliqué à Libération. Symboliquement, il y a eu quelque chose, même si cette somme ne va pas suffire à financer tout le travail thérapeutique, qui est infini.»