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Libération
Chronique «Aux petits soins»

A l’Institut Paoli-Calmettes de Marseille, un espace pour apporter du «sacré» face au cancer

A l’occasion d’un colloque qui s’est tenu à Marseille sur le thème «Art santé sacré», le professeur Dominique Maraninchi nous a présenté un lieu unique de recueillement, situé au centre anticancer de l’Institut Paoli-Calmettes, et au sein duquel se retrouvent toutes les confessions.
Dominique Maraninchi lors du procès du Mediator auquel il assistait en tant que chef de l'Agence de sécurité sanitaire des produits de santé, à Nanterre le 21 mai 2013. (Martin Bureau/AFP)
publié le 30 avril 2024 à 6h51

Le professeur Dominique Maraninchi est marseillais. Et il aime bien les contrastes. Hier, nous l’avions connu comme un grand cancérologue, dirigeant pendant de longues années l’Institut Paoli-Calmettes, le plus important centre anticancéreux du sud de la France. Puis il est monté à Paris pour diriger l’Institut national du cancer. La capitale l’appelle régulièrement quand il y a des problèmes à régler, en l’occurrence remplacer le fondateur du lieu, David Khayat. Puis il a été sollicité pour diriger la toute nouvelle Agence de sécurité sanitaire des produits de santé, après le scandale du Mediator ; il s’agissait, là, de mettre tout à plat, avec de nouvelles structures, et au final mettre un peu de transparence dans le monde des médicaments.

Bref, c’est un médecin de renom, respectable et reconnu. Et voilà qu’on le retrouve dans une salle de… recueillement, à Marseille, au sein de l’Institut Paoli-Calmettes. Il est là, avec sa façon bien à lui de parler, avec sa voix d’ex-fumeur et son côté un rien roublard. En cette mi-avril, il est là pour présider un colloque «Art santé sacré» autour de ce lieu unique, planté en plein milieu de Paoli-Calmettes, un lieu qu’il a créé il y a près de 25 ans, et au sein duquel se retrouvent toutes les religions. «Y compris pour ceux qui ne croient pas au ciel, car il y a un espace que l’on a appelé Peppone, du nom de ce maire communiste qui s’opposait toujours au curé de Fernandel», nous raconte-t-il.

«L’hôpital n’est pas qu’un parcours de soins. Il faut aussi du beau, du sacré.»

Depuis sa naissance, ce lieu est un succès (si l’on peut dire). Les patients, les proches, les soignants vont et viennent. Ils arrivent en silence, pour se replier, prier aussi, ou attendre. Il y a 25 ans, l’endroit était une aumônerie un brin vieillissante, uniquement orientée vers les catholiques. «Il n’y avait plus grand monde», raconte Dominique Maraninchi. «On s’est dit que l’on allait en faire un endroit nouveau, ouvert à tous, en demandant la participation d’artistes.» Dominique Maraninchi, lui le clinicien, lui le non croyant, d’un coup change de registre. «Le cancer, ce mot fait mal. C’est une vie qui s’effondre. La personne arrive, elle rencontre la maladie, elle entend des mots qui ont une sale réputation. On a besoin de se taire aussi, de prendre son temps, on a besoin d’un lieu de rencontre, pour s’interroger, pourquoi moi, pourquoi maintenant ? Et on n’a pas de réponses.» C’était en 2000. Il fait alors appel à un artiste mondialement connu, discret et puissant : Michelangelo Pistoletto. «Ce grand maître de l’art contemporain a été séduit par la démarche, et il a accepté de dialoguer longuement avec tous les membres du groupe.»

Le projet se travaille, puis le lieu s’ouvre, pour toutes les religions. «Faire le temple des religions, tous ensemble, et au centre, le mystère, avec la création que Michelangelo symbolise avec l’infini moins 1. C’est-à-dire un carré de miroirs et de cordes», dit Dominique Maraninchi. Ce sont six miroirs rectangulaires, leurs faces tournées vers l’intérieur, assemblés de façon à former un volume d’un mètre cube. Au final, tout le lieu est vaste, comme une fleur avec des pétales dont chacune renvoie à chaque religion. Chrétiens, musulmans, bouddhistes, juifs, athées aussi. Avec des bancs où l’on peut regarder et prier son dieu, ou bien se tourner vers celui des autres. «L’hôpital n’est pas qu’un parcours de soins. Il faut aussi du beau, du sacré. Et puis du temps. A l’hôpital, on n’a jamais le temps. Là, on peut le perdre», lâche encore Dominique Maraninchi.

«On vient entre deux, le soir, la nuit, c’est un lieu intime.»

De jour comme de nuit, c’est ouvert. «Je me réjouis de voir un lieu de prière dans un hôpital. Nous sommes tous égaux, malgré notre religion, nous restons des humains. Ici nous ne sommes que de passage et c’est là que nous prenons conscience qu’il n’y a aucune différence entre nous», écrit sur le livre d’or, à l’entrée, une passante. Un autre visiteur, Georges : «Je viens d’apprendre ce que j’ai comme mal. Je ne comprends pas, pourquoi moi ? J’ai peur, atrocement peur, toi là-haut, fais­-moi un signe, dis­-moi seulement comment me comporter dignement, aide­-nous à surmonter cette angoisse.» Ou encore «Mon mari va me quitter et je suis tellement fatiguée que je ne dors plus. J’ai été́ hospitalisée en psychiatrie pour dépression ! Surtout qu’il ne souffre plus. Priez pour mes enfants et pour moi, j’ai trop mal mais je crois qu’il y a une vie après la mort.» Plein de désarrois, ou de silences. «Nous franchissons pour la premiè̀re fois les portes de l’Institut, Valérie est atteinte d’un cancer du sein. Soins, rémission, tranquilité. Rechute, lésion du foie. Espoir, désespoir, combat, celui de l’avant, toujours penser à l’avenir, ne pas laisser tomber, une épouse, une main, un fil lié par un merveilleux serment d’Amour. Le combat fut long, acharné, rude, jusqu’à̀ la dernière minute, la dernière seconde, le dernier souffle. L’espoir jusqu’au bout et pourtant elle est partie, vaincue mais sereine… Plus de souffrance, plus de peine, elle a rejoint ceux qu’elle aimait et qui l’attendaient de l’autre côté. Je reste désœuvré, seul avec mon fils, continuant le combat pour elle… Je t’aime, Valérie, mon épouse, ma femme, toi la mère de mon fils. Je t’aime. Au revoir car adieu est impossible.» Signé Joël.

On est loin de la médecine de haute technicité. Lors de ce colloque, on a entendu des propos murmurés, un rien décalés. «Ici, ce n’est pas comme dans un musée. L’art nous accompagne», a expliqué une historienne de la santé. Chrétiens et musulmans viennent en nombre, mais peu de bouddhistes et de juifs. «C’est un autre monde. Il n’y a pas de pointage, on vient entre deux, le soir, la nuit, c’est un lieu intime. On se repose aussi», a témoigné un soignant. Jamais en vingt ans un incident ni une détérioration. Quant à l’artiste Michelangelo Pistoletto, il a eu ces jolis mots : «C’est la première fois que l‘on me dit que mon œuvre sert à quelque chose.» Comme un traitement.