Menu
Libération
Addiction

Drogues : à Marseille, l’ouverture de la salle de consommation à moindre risque suspendue

La création d’une halte soins addictions a été repoussée face à une fronde citoyenne et politique, focalisée notamment sur sa localisation en centre-ville. La France accuse un certain retard pour ce dispositif dont l’efficacité n’est plus à prouver.
Pendant une manifestation contre l'ouverture de la halte soins addictions à Marseille, le 18 novembre. (Gaelle Matata /Hans Lucas. AFP)
publié le 18 janvier 2024 à 15h23

Une nouvelle fois, un projet de salle de consommation à moindre risque est mis à l’arrêt en France, à quelques jours de son inauguration. A l’issue d’un comité de pilotage réuni mercredi 17 janvier au soir, le projet d’ouverture d’une halte soins addictions (HSA) à Marseille a été suspendu. Prévu pour le début de l’année, ce nouvel espace de consommation encadrée de drogue, le troisième de ce type en France, n’a visiblement pas fait consensus. En particulier sur sa localisation en centre-ville. «Les échanges au sein du comité de pilotage font apparaître, à présent, des réserves sur l’installation d’une HSA sur ce site. […] Je suspends donc ce projet sur ce lieu», a annoncé dans un communiqué publié mercredi Michèle Rubirola, première adjointe écologiste de la ville de Marseille, en charge de la santé. «J’ai entendu les doutes des citoyens sur cette implantation […]. Je regrette cependant une instrumentalisation politique de ce dispositif médico-social», a ajouté Michèle Rubirola

Jeudi, lors de ses vœux à la presse, Christophe Mirmand, le préfet des Bouches-du-Rhône, a souligné que ce n’était pas le principe de cette salle qui est remis en question mais bien le lieu de son implantation. Avant d’annoncer : «Il y a parallèlement une démarche portée au niveau national sous l’égide du ministère de la Santé de mettre en place éventuellement aussi une HSA mobile, qui pourrait être une réponse à ces problématiques», tout en évoquant également «d’autres réflexions sur le lieu» d’implantation. Les haltes soins addictions offrent aux usagers de drogues la possibilité de consommer dans de bonnes conditions sanitaires et d’hygiène, en présence d’un personnel de santé qualifié. Selon le quotidien la Provence, c’est bien l’Etat, membre du comité de pilotage, qui a finalement émis un avis défavorable durant la réunion.

«Toutes les parties prenantes étaient pourtant tombées d’accord ! s’exclame la déléguée générale de la Fédération addiction, Marie Ongün-Rombaldi, jointe par Libération. Pour nous, tous les feux étaient au vert, ce qui est assez rare.» «On était sûrs à l’époque qu’Aurélien Rousseau allait signer» pour la création de ce lieu, ajoute-t-elle. Sauf qu’entre-temps, la loi immigration est passée par là, et le ministre de la Santé a quitté le gouvernement. Il est désormais remplacé par Catherine Vautrin à la tête du ministère.

Une efficacité qui n’est plus à prouver

«Depuis le début ce projet était inadapté et irresponsable !», a réagi de son côté le groupe d’opposition municipale «Une volonté pour Marseille» sur la plateforme X (ex-Twitter). Plusieurs riverains de la future salle, qui devait siéger boulevard de la Libération non loin de la Canebière, s’offusquaient aussi du choix de leur quartier, soulignant qu’il n’est pas un lieu de consommation et qu’il abrite plus de 5 000 enfants dans un rayon de 700 mètres. Le «Collectif citoyens enfants Libération» s’est également félicité de la nouvelle, louant la «sagesse» du gouvernement qui s’est «porté en défaveur de ce projet de HSA (salle de shoot)». «On ne crée pas une HSA n’importe où, n’importe comment. C’est systématiquement à proximité des lieux de consommation», répond Marie Ongün-Rombaldi.

«On est à la fois surpris et pas surpris, soupire la déléguée générale de la Fédération addiction. Surpris parce que l’association porteuse du projet a multiplié ces derniers mois les communiqués, effectué de la médiation dans le quartier, du porte-à-porte auprès des commerces et des réunions avec les riverains.» En somme, beaucoup, beaucoup de sensibilisation. «Et on n’est pas surpris parce que c’est exactement ce qu’il s’est passé à Lille», observe-t-elle. En octobre 2021, la maire de Lille, Martine Aubry, avait accusé Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et conseiller municipal à Tourcoing, d’avoir coulé son projet de salle de consommation à moindre risque à quelques jours de son ouverture dans le quartier du Faubourg de Béthune.

«C’est un dispositif de santé avant tout»

«C’est inquiétant, parce que malgré tout le travail, il y a toujours quelqu’un en dernière minute qui va douter», fait remarquer Marie Ongün-Rombaldi. Pourtant, les études prouvant les bienfaits de ces espaces de consommation se multiplient. Réduction de la morbidité, de la mortalité, de la consommation dans l’espace public… Les HSA diminuent aussi considérablement les risques liés au partage de matériel d’injection, comme le VIH et l’hépatite C.

Comment justifier un tel retard français dans l’ouverture de ces HSA ? A ce jour, seules deux infrastructures existent en France, à Paris et à Strasbourg. «Alors qu’il en existe 25 en Allemagne, une dizaine en Suisse, et qu’une deuxième est en train d’ouvrir à Bruxelles», s’offusque Marie Ongün-Rombaldi. Les représentations négatives collent à la peau de ces salles, qui sont aussi bénéfiques pour les consommateurs que les riverains. «C’est un dispositif de santé avant tout», rappelle-t-elle. Pour la déléguée générale de la Fédération addiction, une telle politique contribue à donner «l’impression que les consommateurs de drogues ne sont pas des citoyens comme les autres, et qu’il faudrait les cacher».

Même à droite de l’échiquier politique, la présidente divers droite de la métropole d’Aix-Marseille-Provence, Martine Vassal, ou le président Renaissance de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Renaud Muselier, se sont déclarés officiellement favorables à une HSA. Mais pas sur son emplacement prévu, et plutôt près d’un hôpital, ont-ils jugé. Le maire divers gauche de Marseille, Benoît Payan, avait lui annoncé attendre une position du gouvernement sur ce projet, ajoutant : «On ne fait ni sans la population ni sans les professionnels de santé et encore moins sans le gouvernement.» Résultat : on ne fait tout simplement pas.