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Interview

Alzheimer : de nouveaux résultats prometteurs pour un test sanguin, «avoir un diagnostic le plus accessible possible est crucial»

Dans une étude publiée le 28 juillet, des chercheurs suédois ont décrit un test efficace à 91% pour détecter la maladie, qui pourrait être utilisé dans des centres spécialisés comme chez les généralistes. Jean-Charles Lambert, directeur de recherche Inserm, commente ces résultats pour «Libé».
Scientifique tenant un échantillon de sang au cours d'un essai clinique avec une IRM à l'écran. (Andrew Brookes/Getty Images)
publié le 1er août 2024 à 7h40

En France, 900 000 personnes sont atteintes de la maladie d’Alzheimer ; 225 000 sont dépistées chaque année. Et les chiffres vont s’accroître au fil du vieillissement de la population. Alors la recherche s’active. D’un côté, le développement d’un traitement efficace patine depuis vingt ans ; de l’autre, celui du diagnostic fait des progrès fulgurants depuis quelques années. C’est dans ce contexte que le JAMA, revue médicale internationale, a publié le 28 juillet une étude qui décrit un test sanguin efficace à 91% pour détecter la maladie.

Par une simple prise de sang, ce test permet de mesurer le taux de protéines bêta amyloïde et de protéines tau – dans le jargon, on parle de «biomarqueurs». Leur accumulation anormale est associée à la maladie d’Alzheimer. Surtout, l’objectif des chercheurs était de borner son utilisation : selon leurs résultats, le test pourrait à terme être accessible dans des centres spécialisés comme chez des médecins généralistes. Pour Jean-Charles Lambert, directeur de recherche Inserm à l’Institut Pasteur de Lille, cette étude montre une nouvelle fois qu’une «révolution est en marche». Il commente pour Libé ses principaux enseignements.

En quoi les résultats décrits par cette nouvelle étude sont prometteurs ?

91% de bon diagnostic, c’est énorme. Mais cet aspect était assez attendu : cet énième résultat confirme l’intérêt du biomarqueur qu’ils utilisent, une révolution en marche depuis quatre ans dans le diagnostic d’Alzheimer. Ils sont une aide intéressante pour affiner le diagnostic, notamment dans le cas de personnes qui présentent des troubles cognitifs et de mémoire objectifs [c’est-à-dire évalués cliniquement par des tests neuropsychologiques, ndlr], mais dont on ne peut pas dire avec certitude qu’il s’agisse de démence. Si le test détecte un fort taux de biomarqueurs, il y a un gros risque pour que ces personnes développent une maladie d’Alzheimer – bien que ce ne soit pas systématique.

Le véritable basculement de ce test, c’est qu’il se fait à partir d’une prise de sang : il est donc réalisable en laboratoire. Or avoir un diagnostic le plus accessible possible est crucial. Jusqu’à présent, les outils pour évaluer la présence de biomarqueurs passaient soit par l’imagerie, ce qui coûte cher et nécessite des équipements, soit par une ponction lombaire, considérée comme un acte invasif. C’est aussi tout le sens de l’article qui vient d’être publié : les chercheurs ont voulu décrire jusqu’où on peut utiliser ce test sanguin, et montrent qu’il peut aussi l’être en soins primaires – en clair, chez un médecin généraliste.

Est-ce à dire qu’une simple prise de sang nous permettra bientôt de savoir si on est atteint d’Alzheimer ?

Oui et non. Cette étude va d’abord devoir être élargie dans d’autres centres au niveau européen, pour montrer que cet outil fonctionne à tous les coups, quel que soit l’endroit où il est fait. Mais depuis qu’il a été présenté pour la première fois, il y a trois ou quatre ans, le développement de cet outil va très vite : il est probable qu’il puisse être utilisé en clinique d’ici quelques années, et un peu plus tard chez les médecins traitants.

Il me semble par ailleurs intéressant de faire une telle prise de sang pour les formes de démence déjà en place, ou lorsque les patients sont dans l’antichambre de la maladie. En revanche on n’en est pas au stade de faire ce test dix ans avant les premiers symptômes pour évaluer si la personne la développera ou non. Je trouve même qu’il y a une ambiguïté dans cette étude : les chercheurs suggèrent que ce test pourrait aussi être fait sur des personnes avec des troubles cognitifs subjectifs – elles ressentent ces troubles, mais on ne le retrouve pas dans les tests cliniques. On peut se poser la question de la pertinence d’aller aussi loin.

Détecter la maladie le plus tôt possible n’est-il pas crucial ?

Différentes études montrent que la majorité des personnes présentant ces biomarqueurs vont développer une démence, mais ce n’est pas systématique. A ce stade, je trouve que cet outil est intéressant comme aide au diagnostic clinique, combiné avec d’autres. Mais il est aussi vrai que dans le cas d’Alzheimer, l’idée est de se dire que plus le traitement est pris de manière précoce, plus il sera efficace… quand on aura un traitement efficace. Aujourd’hui, les immunothérapies, censées permettre une progression plus lente de la malade, sont très discutées : leur efficacité est limitée et leurs effets secondaires importants [raison pour laquelle l’Agence européenne du médicament vient de bloquer un nouveau traitement, ndlr].

Quelle est donc l’utilité de ces tests s’il n’existe pas encore de médicament efficace ?

Poser un diagnostic n’est jamais anodin, il est toujours utile. Il ouvre une prise en charge adaptée, y compris financière, pour accompagner les patients, également les aidants qui s’épuisent à soutenir leur proche. En France, on estime que 40% des personnes atteintes d’Alzheimer ne sont pas diagnostiquées ; certaines arrivent en clinique dans des états de démence très avancés. Ce n’est pas acceptable. Il y a beaucoup de facteurs, y compris sociétaux – on considère encore trop souvent qu’il est «normal» qu’une personne âgée aille mal. On ne peut pas remplacer les familles, qui sont souvent les premières à détecter le problème, mais un test sanguin, qui pourrait être utilisé par les généralistes, permettrait de détecter la maladie plus tôt, ou récupérer des malades non diagnostiqués.