Près d’un mois après le blocage d’un nouveau traitement contre la maladie d’Alzheimer par le gendarme du médicament européen, son homologue britannique a décidé de l’approuver. Le Leqembi – nom commercial du lecanemab – devient ainsi «le premier traitement contre la maladie d’Alzheimer dont l’utilisation est autorisée en Grande-Bretagne et qui présente une efficacité prouvée pour ralentir la progression de la maladie», souligne l’agence britannique du médicament (MHRA) dans son communiqué. Il avait été autorisé en janvier 2023 aux Etats-Unis pour les patients n’ayant pas atteint un stade avancé de la maladie.
Développé par les laboratoires japonais Eisai et américain Biogen, le Leqembi est censé nettoyer les dépôts de la protéine bêta-amyloïde, qui forme, en s’accumulant, des plaques amyloïdes. Ces plaques se déposent entre les neurones du cortex cérébral et provoquent un dysfonctionnement des connexions entre eux. Et si les causes de la maladie sont encore mal connues, ces plaques semblent être à l’origine de l’un des deux types de lésions affectant les cerveaux atteints par Alzheimer.
Ainsi, en agissant sur ces plaques, le Leqembi a montré une réduction de 27% des troubles cognitifs après dix-huit mois de traitement, selon les résultats d’une étude publiée en novembre 2022 dans le New England Journal of Medicine (Jama). Sans permettre une réelle guérison de la maladie, ce traitement promet, faute de mieux, de ralentir son évolution. C’est pourquoi il est très attendu, notamment par les malades, leurs proches et des associations spécialisées.
Microhémorragies cérébrales
Il n’en reste pas moins controversé : beaucoup de spécialistes se montrent prudents à son sujet. Car il présente des effets secondaires potentiellement graves, en particulier des risques de saignements cérébraux. Dans l’étude du Jama, les chercheurs ont noté 12,6% d’œdèmes cérébraux et 17% de microhémorragies cérébrales dans le groupe de patients traités, contre 2% et 9% dans le groupe placebo. C’est ce qui a officiellement poussé l’Agence européenne du médicament à bloquer la mise sur le marché du Leqembi fin juillet.
L’agence britannique relève, pour sa part, que le risque de saignement est plus important pour une catégorie de patients avec un profil génétique particulier – qui représente 15% des diagnostics. Elle n’approuve donc pas l’utilisation de ce médicament pour ces malades. Mais les divisions suscitées par le médicament se retrouvent jusque dans les institutions sanitaires du pays : le National Institute for Health and Care Excellence (Nice), organisme public indépendant chargé de fournir des orientations pour le système public de santé du pays, désapprouve l’utilisation du Leqembi par le service public de santé (NHS). Il juge, ce jeudi, ses bénéfices «trop faibles pour justifier des coûts importants».
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Il fait valoir que le traitement, déjà coûteux en lui-même, retarde la maladie entre quatre et six mois alors que ses effets secondaires vont nécessiter un suivi lourd, et notamment des visites à l’hôpital tous les quinze jours. «[Le Leqembi] doit non seulement apporter des avantages aux patients, mais il doit également représenter une bonne utilisation des ressources du NHS et de l’argent des contribuables», explique dans un communiqué Helen Knight, directrice de l’évaluation des médicaments au Nice. «Ce bénéfice n’est pas suffisant pour justifier le coût supplémentaire pour le NHS.»
Les associations spécialisées dans la maladie saluent, certes, la décision de l’agence du médicament britannique, mais elles font aussi part de leur déception sur l’accès au traitement. «Il est clair que le système national de santé n’est pas prêt à fournir [le Leqembi]. De nouvelles négociations pourraient permettre d’avancer, mais les personnes atteintes de démence n’ont pas le temps d’attendre», pointe l’une d’elles, l’Alzheimer’s Research UK. Qui craint que «les patients au Royaume Uni soient privés de traitements innovants».
Tel est le cœur du problème : la recherche patine depuis des décennies et échoue pour le moment à trouver des traitements efficaces et sans effets secondaires importants pour lutter contre Alzheimer, qui affecte actuellement des dizaines de millions de personnes dans le monde. Un nombre qui, avec le vieillissement de la population, ne va faire que s’accroître.