Le symbole est fort. Pour la première fois, les laboratoires Bayer, Sandoz et Viatris ont été condamnés au civil dans le cadre d’une procédure autour du médicament Androcur. Une femme de 55 ans atteinte de méningiomes, des tumeurs au cerveau provoquées par la prise de ce traitement hormonal et ses génériques pendant une vingtaine d’années, a obtenu plus de 300 000 euros d’indemnisation des trois géants pharmaceutiques lundi 2 juin devant le tribunal civil de Poitiers, qui les a déclarés coupables de «défaut d’information».
«Le tribunal déclare la SAS Bayer HealthCare, la SAS Sandoz, la SAS Viatris Santé […] responsables des préjudices subis» par la patiente, écrivent les juges dans leur décision, sanctionnant un défaut d’information sur les risques du médicament.
Les laboratoires (à hauteur de 97 %), ainsi que le médecin (2 %) et le pharmacien de la victime (1 %), sont condamnés à lui verser solidairement environ 325 000 euros, dont 20 000 au titre du préjudice moral et 305 000 au titre de la perte de chance. Cette indemnisation est assortie d’une exécution provisoire partielle, pour les laboratoires, à hauteur de 25 %. Autrement dit, le jugement peut être exécuté immédiatement, malgré de potentiels recours.
Le groupe Bayer, «en désaccord avec la décision du tribunal» qui «s’inscrit à rebours», selon lui, de rapports d’expertise ayant écarté «toute faute ou défaut d’information» sur l’Androcur, a annoncé qu’il ferait appel.
750 dossiers en cours
La plaignante était sous Androcur – puis ses génériques – entre 1991 et 2013 pour traiter un syndrome des ovaires polykystiques, une affection hormonale qui touche environ 6 % à 13 % des femmes en âge de procréer, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). La quinquagénaire a depuis développé plusieurs méningiomes. Ces tumeurs non cancéreuses des membranes entourant le cerveau peuvent provoquer de d’importants handicaps neurologiques. Dans son cas, la patiente souffre à ce jour de troubles visuels et de la mémoire, ainsi que d’une fatigue importante.
Témoignages
Malgré ces graves conséquences, elle assure n’avoir jamais été prévenue des risques du traitement. Quand bien même un article scientifique évoquait, dès 2008, un lien entre la molécule présente dans l’Androcur – l’acétate de cyprotérone – et l’apparition de méningiomes.
Des atteintes provoquées par ces méningiomes, diagnostiqués en 2013, qui sont bien «le résultat des traitements médicamenteux à base d’acétate de cyprotérone qu’elle a continué à prendre» jusqu’à cette date, «notamment à compter de 2008», selon les juges du tribunal de Poitiers.
Une décision marquante, qui ouvre la voie à «une multiplication des procédures» d’indemnisation, selon Me Romain Sintès, qui représente la plaignante. De son côté, Me Charles Joseph-Oudin, conseil de l’association de victimes Amavea, salue une décision «essentielle» : «On est en train de constituer 750 dossiers», dont «une centaine sont en cours d’expertise ou ont fait l’objet de premières requêtes et de premières procédures judiciaires».
Des plaintes pénales ont également été déposées à Paris, selon l’avocat, et une procédure engagée devant le tribunal administratif de Montreuil (Seine-Saint-Denis) vise à engager la responsabilité de l’État.
Manque au devoir d’information
L’Androcur a été prescrit, à partir de 1980, à de très nombreuses femmes comme pilule contraceptive, pour traiter des problèmes d’acné et de pilosité, ou encore pour soulager les symptômes de l’endométriose, une maladie inflammatoire qui touche une personne menstruée sur dix.
Après l’alerte de 2008, le risque de méningiome a été introduit dans la notice en 2011 par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), avant que sa confirmation scientifique, dans un rapport remis en 2018 au ministère de la Santé, ne fasse chuter les prescriptions.
Lors de l’audience qui s’était tenue en avril, Bayer avait rejeté la faute sur l’ANSM, qu’il accuse d’avoir tardé à réagir. Le laboratoire s’en était également pris aux fabricants des génériques, la patiente ayant pris de l’Androcur jusqu’en 2004 avant de poursuivre son traitement avec les produits de Sandoz et Viatris jusqu’en 2013.
Pour les juges, Bayer a malgré tout bien manqué à son devoir d’information des patients, puisque la société n’a informé du changement de notice de l’Androcur que les médecins spécialistes. Les généralistes et les pharmaciens, eux, n’ont pas été mis dans la boucle. Idem pour Viatris et Sandoz, qui n’ont changé la notice de leurs génériques qu’après 2013, date du diagnostic des méningiomes de la plaignante.
«En dépit de ce que nous racontaient les laboratoires, ils avaient les moyens de communiquer sur des effets secondaires particulièrement graves, invalidants et surtout irréversibles, qu’ils connaissaient depuis 2008», pointe Me Sintès, tandis que sa cliente salue auprès de l’AFP une «grosse victoire». Avec cette procédure, elle attendait avant tout que les responsabilités des laboratoires soient mises en lumière, plus que celles de son médecin et son pharmacien qu’elle ne voulait pas voir «[payer] pour eux». Un combat qu’elle est «plus que jamais prête» à poursuivre en appel.