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Billet

Arrêt de travail pour maladie : la Cour des comptes alimente la culpabilisation des salariés

En présentant ses pistes pour réduire le déficit de la Sécurité sociale, la juridiction financière dirigée par Pierre Moscovici a une nouvelle fois pointé du doigt les travailleurs, qui seraient trop gâtés et protégés.

Dans l'esprit de la Cour des comptes, le salarié, déjà trop gâté, se muerait volontiers en parasite, et ce avec la complicité de médecins complaisants. (Paul Harizan/Getty Images)
ParSabrina Champenois
Journaliste - Société
Publié le 30/05/2024 à 17h58

Ce n’est qu’une recommandation, émise par la Cour des comptes dans le cadre de son rapport d’application sur les lois de financement de la Sécurité sociale présenté ce mercredi 29 mai, mais elle a immédiatement pris feu. Et pour cause. Elle dit ceci, en sous-main : salarié, on t’a toujours plus à l’œil, et on a bien vu que tu abusais, ça suffit de profiter d’un système bien trop généreux, il est temps de siffler la fin de la récréation, et ça va faire mal, on va taper à ton endroit le plus sensible : le portefeuille, le fric.

Le point de départ est le fameux «trou de la Sécu», expression qui évoque un glissement abyssal. Il pourrait même être fatal, à en lire la Cour des comptes, qui écrit que les prévisions actuelles du gouvernement «montrent une dégradation continue» et «non maîtrisée» du déficit, «qui atteindrait 17,2 milliards d’euros en 2027, sans plus de perspective de stabilisation et encore moins de retour à l’équilibre». Or, la juridiction financière dirigée par Pierre Moscovici semble avoir trouvé le coupable : l’arrêt de travail. Le rapport suggère notamment de s’attaquer aux dépenses liées à leur indemnisation, «qui ont augmenté de plus de 50 % entre 2017 et 2022 pour atteindre 12 milliards d’euros dans le régime général».

Parasite

Le coupable étant redoutable, c’est un bouclier blindé qu’il faut déployer. La cour fourbit les munitions possibles, en chiffrant les bénéfices que fournirait la mitraille : non-indemnisation par l’assurance maladie des arrêts de moins de huit jours (470 millions d’euros de dépense en moins), augmentation à sept jours du délai de carence (950 millions d’euros de dépenses en moins), réduction à deux ans (contre trois aujourd’hui) de la durée maximale d’indemnisation (750 millions d’euros de dépenses en moins). Il faudrait aussi «aller plus loin dans la lutte contre la fraude aux arrêts de travail et dans le contrôle des prescriptions des médecins».

Ce n’est, effectivement, qu’une recommandation. Mais comment ne pas se sentir, en tant que salarié, sur la sellette, et pas loin d’être insulté ? Ce rapport et les mesures qu’il préconise, sont infantilisants, culpabilisants et même diffamants en ce qu’ils suggèrent une irresponsabilité voire un opportunisme éhonté. Le salarié, déjà trop gâté, se muerait volontiers en parasite, et ce avec la complicité de médecins trop complaisants. C’est de fait ce que serine depuis l’an dernier le gouvernement Macron, que ce soit via Bruno Le Maire ou Gabriel Attal. En juin 2023, alors ministre des Comptes publics, Attal avait notamment dénoncé «les faux arrêts du lundi ou du vendredi», et quelques jours plus tard, une campagne de contrôle était lancée contre les médecins jugés «surprescripteurs» d’arrêts maladie.

Salariés-sorcières

«Il y a des gisements importants», encore faudra-t-il de la «volonté politique» pour les mettre en œuvre, a commenté le président chercheur d’or Pierre Moscovici, lors de la publication du rapport de la Cour des comptes. Des tripes, du courage, en somme. Ce serait tout l’inverse à nos yeux, plutôt faire l’autruche et renforcer la pression sur les fragiles, et ce à l’heure où les problématiques de santé mentale (dont la souffrance au travail) sont enfin admises comme un enjeu sociétal. Sans compter qu’au plan comptable, le jackpot n’est pas garanti, des études suggérant que le rallongement du délai de carence peut certes réduire le nombre d’arrêts de travail, mais aussi augmenter la durée des arrêts. Le pompon : cette chasse aux salariés-sorcières s’accompagne du refrain «pour sauver le système de protection français», comme on parlerait d’un Etat-providence. Mais quelle protection ? Le haro sur l’arrêt de travail s’ajoute à (entre autres) l’allongement de la durée du travail, à la réduction de la durée d’indemnisation du chômage et au flicage intensif des chômeurs. Au nom de la dette, la France s’enfonce dans l’ultralibéralisme.

Ce jeudi, face au tollé provoqué par ses préconisations, la Cour des comptes a diffusé un communiqué de «mise au point» de Pierre Moscovici, qui précise que «l’arrêt de l’indemnisation des arrêts de travail de moins de huit jours, reviendrait, dans la plupart des cas, à une prise en charge des arrêts de travail, avec maintien du salaire, par les entreprises jusqu’à sept jours, au lieu de trois jours actuellement. Les affections de longue durée ne seraient pas concernées». Vu qu’en juin 2023, l’alors président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, avait déjà grincé que «repasser la dépense de la Sécurité sociale aux entreprises, ça n’est pas la bonne méthode», en pointant que beaucoup d’entreprises et de conventions collectives prennent déjà en charge les jours de carence dans le secteur privé, le dossier sent la patate plus que chaude. Avec le salarié sur le gril.