Toute personne qui y a déjà été confrontée connaît ses effets plus que désagréables : irritation des yeux, du nez et du système respiratoire, forte toux et parfois vomissements. Fortement utilisés dans les manifestations, en France ou ailleurs – le gouvernement français en a d’ailleurs racheté l’année dernière pour plus de 3 millions d’euros –, les gaz lacrymogènes sont considérés comme des armes non létales, dont l’action n’est censée agir qu’à très court terme. «Censée» seulement car, selon une étude publiée lundi dans la revue en ligne BMC Public Health, plusieurs effets secondaires, allant de maux de tête, nausées, troubles mentaux à une perturbation du cycle menstruel, pourraient être liés à une exposition à ceux-ci.
Pour en arriver à cette conclusion, les chercheuses ont interrogé en ligne plus de 2 200 personnes, toutes adultes, qui expliquent avoir participé à des manifestations à Portland (Oregon) entre le 30 juillet et le 20 août et avoir été exposées, de près ou de loin, à du gaz lacrymogène. Suite à la mort de George Floyd sous le genou d’un policier en mai, et à la médiatisation de plusieurs affaires similaires, de nombreux Américains étaient descendus dans les rues à l’appel du mouvement Black Lives Matter. A Portland, les manifestations ont duré plus de 100 nuits consécutives, et à de nombreuses reprises policiers et manifestants se sont affrontés. Les forces de l’ordre ont régulièrement fait usage de gaz lacrymogènes.
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Il ressort de l’étude que la quasi-totalité des personnes interrogées expliquent avoir eu des problèmes physiques ou psychologiques au moment du contact avec le gaz, ce qui n’a rien de surprenant puisque c’est son but premier. Mais 86 % assurent que ces symptômes ont perduré dans les heures et jours suivants, que d’autres sont apparus par la suite, de manière plus ou moins intense en fonction de la fréquence et du temps auxquels elles avaient été exposées.
Douleurs et saignements abondants
Parmi les cobayes de l’étude, 1 650 se définissent comme femme ou transgenre, et plus de la moitié d’entre elles expliquent avoir eu des perturbations de leur cycle menstruel et des changements au niveau de la sensibilité de leur poitrine peu de temps après avoir été exposées. Une personne interrogée sur trois raconte avoir eu des crampes et douleurs menstruelles plus fortes, 23 % une augmentation des saignements et 19 % des règles durant plus longtemps. Ces pourcentages augmentent nettement sur les interrogées âgées de 18 à 33 ans.
Selon les chercheuses, cette étude est la première sur le sujet menée à une telle échelle et supervisée par des pairs. Elles pointent un manque d’informations et de recherches sur le lien entre exposition au gaz lacrymogène, perturbation du cycle menstruel et autres effets secondaires, dus au fait que les tests avant utilisation sur les manifestants sont faits dans un premier temps sur des animaux, puis principalement sur des jeunes hommes en bonne santé – souvent militaires –, et non sur des femmes, femmes enceintes, enfants, personnes âgées ou avec comorbidités. Elles confessent néanmoins que les symptômes mis en avant dans leur étude pourraient être surévalués car les personnes ont été interrogées en ligne, sur leur bon vouloir, et qu’une partie de ces symptômes pourrait s’expliquer par une augmentation du stress et de l’anxiété lors des manifestations.
Constatations similaires en France
Ce n’est pourtant pas la première fois qu’un lien est fait entre l’usage des gaz lacrymogènes et la perturbation du cycle menstruel. Fin juillet, en plein cœur des mobilisations Black Lives Matter, l’Oregon Public Broadcasting (OPB), un réseau de radios et de télévisions de l’Etat américain de la Côte Ouest, avait recueilli les témoignages de 26 manifestantes exposées à plusieurs reprises à des gaz lacrymogènes et ayant constaté des dysfonctionnements dans leur cycle menstruel. Certaines expliquaient avoir eu leurs règles plusieurs fois en un mois, d’autres d’énormes douleurs d’estomac et des saignements plus abondants qu’en temps normal. Enfin, plusieurs manifestants transgenres, qui avaient cessé d’avoir leurs règles suite à la prise de testostérone, expliquaient avoir eu de nouveaux saignements après avoir été exposés aux gaz.
En septembre, le média en ligne Street Press publiait une enquête similaire. Des femmes ayant été en contact avec du gaz lacrymogène lors de manifestations en France décrivaient les mêmes symptômes. Selon plusieurs chercheurs cités dans l’article, ces perturbations pourraient être liées au gaz CS (2-Chlorobenzylidène malononitrile), une substance présente dans la majorité des grenades lacrymogènes à travers le monde et notamment en France. Certaines ONG et chercheurs ont aussi alerté sur les risques de fausses couches après y avoir été exposé.