Le XXIe siècle verra-t-il l’éradication du paludisme ? Un second vaccin contre la maladie, efficace, peu coûteux, pouvant être produit massivement et appelé le R21/Matrix-M, a reçu la validation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) début octobre pour prévenir les infections chez les enfants à risque. «En tant que chercheur, je rêvais du jour où nous disposerions d’un vaccin sûr et efficace contre le paludisme. Maintenant, nous en avons deux», s’était enthousiasmé le patron de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus.
Provoquée par un parasite appelé «plasmodium» et propagée par des piqûres de moustiques du genre «anopheles», cette maladie infectieuse, qui touche majoritairement les enfants de moins de cinq ans et les femmes enceintes, a été responsable en 2021 de 247 millions de cas et de 619 000 décès dans le monde, selon l’OMS. Sans traitement, les fièvres, douleurs articulaires et vomissements peuvent évoluer vers une insuffisance rénale, des convulsions ou un coma. Alors que près de 95 % des décès sont recensés en Afrique subsaharienne, ce nouveau vaccin incarne l’espoir d’une amélioration de la protection des populations, et d’une réduction de la mortalité.
«Des centaines de millions de doses chaque année»
Depuis 2019, près de deux millions d’enfants ont été vaccinés avec un premier vaccin antipaludique, le RTS, S (ou Mosquirix, son nom commercial), dans le cadre d’un programme de test au Ghana, au Kenya et au Malawi. Couplé à des mesures de prévention (traitements médicamenteux, moustiquaires imprégnées de répulsif), le RTS, S a entraîné une réduction des formes graves et mortelles du paludisme et une baisse de la mortalité de l’enfant, poussant l’OMS à le recommander officiellement en octobre 2021. Avec l’Unicef et l’Alliance du vaccin, l’organisation mondiale prévoit de répartir 18 millions de doses dans 12 pays d’ici à 2025. Mais 28 pays restent encore sur la touche. «Les doses sont limitées, et tous les pays d’Afrique subsaharienne ne sont pas éligibles à son obtention», soupire Mahamadou Doutchi, référent maladies tropicales chez Médecins sans frontières et basé au Niger, où le RTS, S n’a pas encore été livré.
Interview
C’est dans sa grande disponibilité que réside donc le progrès du R21/Matrix-M. Adrian Hill, investigateur en chef des essais du nouveau vaccin et directeur de l’Institut Jenner de l’université d’Oxford, a estimé auprès de The Conversation que «nous pouvons éradiquer le paludisme d’ici 2040», saluant «la manière de fabriquer le vaccin à l’échelle qui est vraiment nécessaire». «Le Serum Institute of India, notre partenaire pour la fabrication et pour la commercialisation de ce vaccin, peut produire des centaines de millions de doses chaque année, alors que le vaccin précédent [RTS, S, ndlr] ne pouvait être fabriqué qu’à raison de six millions de doses par an entre 2023 et 2026, selon les informations de l’Unicef.»
Garder l’efficacité, «même en cas de mutation»
Autre atout : son coût relativement faible. «Nous sommes donc parvenus à un prix qui variera en fonction de l’échelle à laquelle il sera fabriqué, mais qui devrait se situer à 5 dollars la dose [4,70 euros environ] pour une production à un volume important», précise Adrian Hill. Déjà utilisé au Ghana, au Nigeria et au Burkina Faso, le R21 a prouvé une efficacité de 75 %, équivalente à celle du RTS, S. Fonctionnant de manière similaire, ces deux vaccins utilisent une protéine parasitaire couplée à une enveloppe virale, et induisent la production d’anticorps qui vont s’attaquer à la forme du parasite présente dans le foie lors d’une infection, et ce avant qu’elle ne se diffuse dans le sang.
D’autres perspectives, prometteuses, sont encore évaluées par les chercheurs pour lutter contre le paludisme. L’utilisation d’ARN messager, par exemple, a récemment démontré son efficacité dans l’induction d’une réponse cellulaire. «L’intérêt d’avoir plusieurs vaccins est d’éviter la pression de sélection sur un pathogène, qui le pousse à changer pour résister. Cibler différentes protéines permet donc de garder cette efficacité même en cas de mutation», appuie Jean-Daniel Lelièvre, professeur en immunologie, praticien hospitalier au CHU Henri-Mondor et membre de la Haute Autorité de santé. «Ce sont des découvertes majeures et il faut continuer les recherches sur ces infections, dans une vision globale de prise en charge et d’amélioration des conditions de vie sur la planète, ajoute-t-il. On sait qu’on n’entraînera pas l’éradication à ce stade, mais on diminue déjà fortement le fardeau qui pèse sur les jeunes enfants africains.»