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Bactéries résistantes aux antibiotiques : 1,27 million de morts dans le monde chaque année, dont plus de la moitié évitable

La revue médicale «The Lancet» lance ce jeudi 23 mai un appel pour lutter contre les infections par des pathogènes résistants aux médicaments antimicrobiens.
Le nombre d’infection du sang dues à un staphylocoque doré en Europe a augmenté de 51% entre 2007 et 2015. (Stéphane Lagoutte/Myop pour Libération)
publié le 24 mai 2024 à 0h30

Que faire des bactéries devenant résistantes aux antibiotiques connus ? Ce scénario de l’antibiorésistance n’a rien de fictionnel, il est bien en train de se produire. Sur les 7 millions de morts annuelles provoquées dans le monde par des bactéries, 1,27 million seraient directement imputables à des pathogènes ayant appris à contourner les antibiotiques, selon un dossier publié par la revue médicale The Lancet ce jeudi 23 mai au soir. Mais une grande partie pourrait être évitée, en prenant des mesures d’hygiène et de vaccination.

Si «la résistance aux antibiotiques est pour le moment sous contrôle dans nos pays et notamment en France», souligne auprès de Libération Philippe Glaser, spécialiste de ce domaine à l’Institut Pasteur, «la situation se dégrade dans de nombreux autres pays», alerte-t-il. La tendance est lourde. Par exemple, le nombre d’infections du sang dues à un staphylocoque doré en Europe a augmenté de 51% entre 2007 et 2015. Plus récemment, toujours sur le Vieux Continent, le nombre d’hospitalisations en soin critique pour une infection du sang provoquée par une autre bactérie résistante, Acinetobacter, a augmenté de 144% entre 2018-2019 et 2020-2021.

Selon les données publiées dans The Lancet, ce sont les bébés qui sont le plus exposés à ce risque, un tiers des morts étant causées par des infections. Entre 2018 et 2020, selon une étude réalisée dans onze pays sur tous les continents, 18% des nouveau-nés atteints d’une infection généralisée (septicémie) n’ont pas survécu malgré un traitement par antibiotique. Les personnes âgées et les patients souffrant de maladie chronique sont aussi plus à risque de contracter ce type de pathogène. L’antibiorésistance augmente le risque des infections nosocomiales (contractées en milieu hospitalier) et représente un danger pour les patients en chimiothérapie ou receveur d’un don d’organe.

«La résistance aux antimicrobiens est en augmentation – accélérée par l’utilisation inappropriée d’antibiotiques pendant la pandémie de Covid – menaçant l’épine dorsale de la médecine moderne et entraînant déjà des décès et des maladies qui auraient pu être évités par le passé», regrette l’un des coauteurs de la série d’article, le professeur Iruka Okeke de l’Université d’Ibadan, au Nigeria, dans un communiqué de presse.

Trois objectifs d’ici à 2030

Afin de limiter l’apparition de bactéries résistantes, ses collègues fixent trois objectifs précis à l’horizon 2030 : réduire de 10% la mortalité causée par ces pathogènes, réduire de 20% l’utilisation d’antibiotiques chez les humains et de 30% chez les animaux.

Car l’antibiorésistance n’est pas une fatalité. Selon la modélisation proposée dans The Lancet, 750 000 de ces décès pourraient être évités avec la généralisation de mesures simples. Pour les auteurs de ces recherches, la meilleure stratégie contre ces infections reste la prévention : améliorer l’hygiène et la stérilisation au sein des établissements de santé permettrait de sauver 337 000 vies par an. L’accès universel à l’eau potable et à l’assainissement éviterait 247 800 décès par an. Enfin, un usage plus large de certains vaccins contre les pneumocoques, la méningite ou le virus respiratoire syncytial pourrait protéger 181 500 personnes de plus.

Des résultats qui, selon la coautrice des articles, Yewande Alimi, spécialiste de la question au Centre africain de contrôle et prévention des maladies, «montrent que les actions de santé publique visant à prévenir les infections devraient être prioritaires dans la stratégie de lutte contre la résistance aux antimicrobiens». Les scientifiques se mobilisent maintenant pour peser sur la prochaine assemblée générale des Nations unies prévue en septembre et qui doit s’attaquer au problème de l’antibiorésistance.

Ceci dit, les investissements autour de la recherche de nouveaux antibiotiques doivent aussi être réinventés. La seule quête de profit du système pharmaceutique rend les nouveaux antibiotiques inaccessibles dans beaucoup de pays. Des partenariats publics privés dès la phase de recherche pourraient permettre de contourner cette difficulté. Le professeur à Princeton et coauteur de l’étude, Ramanan Laxminarayan, rappelle ainsi que «si l’accès et l’accessibilité financière ne sont pas garantis, le grand nombre de décès dus à des infections bactériennes résistantes se poursuivra sans relâche».