«Si je me suis tu si longtemps, c’est parce que la maladie mentale fait peur. […] J’ai décidé maintenant d’en faire un combat.» Nicolas Demorand a exposé pour la première fois ses troubles bipolaires, mercredi 26 mars, dans la matinale de France Inter qu’il présente. Le journaliste évoquera plus au long ce sujet dans un livre, Intérieur nuit, qui paraît jeudi aux éditions les Arènes, trois jours avant la journée mondiale des troubles bipolaires du 30 mars. Bruno Etain, coordinateur des centres experts bipolaires de la fondation Fondamental, spécialisée dans les maladies mentales, explique à Libération la manière dont ces troubles sont pris en charge.
Nicolas Demorand dit vouloir parler des troubles bipolaires pour en faire un combat et montrer que l’on peut vivre avec. Comment accueillez-vous ce genre de prise de paroles de patients connus ?
Cette parole est cruciale face à une maladie encore fortement stigmatisée. Comme dans d’autres pathologies, la lutte contre la stigmatisation passe par la prise de parole, pour ne pas nier les difficultés liées à la maladie elle-même, depuis le retard au diagnostic jusqu’aux hospitalisations. Mais surtout pour montrer que l’on peut vivre avec un trouble bipolaire, et vivre avec une stabilité de l’humeur.
Certains patients peuvent redouter le diagnostic comme un «couperet qui tombe» car il s’agit d’une pathologie fortement stigmatisée dans nos sociétés. Mais d’autres, très nombreux, sont soulagés que leurs difficultés prennent enfin un nom. Celui d’une pathologie qui pourra être prise en charge, reconnue comme une «maladie comme les autres» et pour laquelle un projet de soin pourra enfin être proposé.
Nicolas Demorand dit souffrir de bipolarité depuis trente ans mais avoir été diagnostiqué seulement il y a huit ans. Cela fait donc vingt-deux ans d’errance diagnostique. Tous les patients ont-ils autant de difficulté à être pris en charge ?
Le retard de diagnostic est assez classique pour ce type de troubles, mais généralement plutôt autour de dix ans. Pour être diagnostiqué comme souffrant de trouble bipolaire, il faut qu’une consultation identifie des phases de dépression mais aussi des phases d’excitation. Il y a deux types de troubles bipolaires. Dans le type 1, les phases d’excitations sont vraiment très euphoriques. On parle de «manies». Les patients présentent une telle désorganisation du comportement que leurs proches repèrent un fonctionnement inhabituel. Il y a souvent une absence quasi totale de sommeil et cela conduit à une hospitalisation.
Dans les troubles bipolaires de type 2, la phase d’excitation est moins marquée. On parle «d’hypomanie». Les patients se sentent bien, voire trop bien. Ils dorment peu, ont beaucoup d’idées, de créativités, d’énergie. Ils peuvent penser que c’est leur fonctionnement normal en dehors des phases dépressives. Dans ce cas-là, ils vont être diagnostiqués comme souffrant de trouble dépressif récurrent car les hypomanies peuvent passer inaperçues.
Combien de Français souffrent de troubles bipolaires ?
Les troubles bipolaires de type 1 touchent environ 1 % de la population, ceux de type 2, environ 2 %. Mais on estime que chez les 10 % de Français qui vont connaître un épisode dépressif dans leur vie, environ 40 % pourraient souffrir de troubles bipolaires. Le pic d’apparition des symptômes se situe entre 15 et 25 ans. Cela commence souvent par un épisode dépressif, ensuite les cycles dépendent des personnes. On a des patients qui vont faire un épisode d’excitation à 18 ans, et puis essentiellement des phases dépressives pendant des années. D’autres connaissent des phases d’hypomanies tous les ans ou tous les cinq ans… Il y a autant de troubles différents que de patients.
Face à une telle diversité, la prise en charge est-elle personnalisée ?
C’est ce que nous faisons au sein des centres experts. L’idée est d’allier un traitement médicamenteux à une prise en charge psychothérapeutique, suivant les besoins du patient. Ce sont des traitements régulateurs de l’humeur, souvent assez lourds, qui peuvent utiliser trois classes de médicaments, avec des effets secondaires. Il est essentiel d’avoir un accompagnement psychologique pour comprendre la maladie, savoir détecter les signes avant coureurs d’une rechute, et accepter la maladie. Les médicaments font la moitié du chemin et l’accompagnement fait l’autre moitié.
Nous avons des patients extrêmement bien stabilisés par leur traitement et les psychothérapies complémentaires. Avec un traitement personnalisé, une prise en charge psychothérapeutique et une hygiène de vie, il est possible d’avoir une bonne qualité de vie, mais cela reste une maladie chronique : si la vigilance se relâche, les troubles reviennent.
Interview
Sait-on ce qui déclenche les troubles bipolaires ?
Ils résultent d’une interaction entre des facteurs environnementaux et des facteurs génétiques. Ce ne sont pas des troubles héréditaires, mais il peut y avoir une vulnérabilité génétique plus grande si l’on a des parents qui en souffrent. Ensuite, les facteurs environnementaux associés sont multiples. On trouve la maltraitance pendant l’enfance, la consommation de drogue, notamment le cannabis. Il y a aussi des associations avec certaines infections de la mère pendant la grossesse. Cela peut venir perturber la formation du système nerveux central et notamment la mise en place des structures qui régulent les émotions.