La compréhension des mécanismes d’apparition des cancers reste l’un des défis de la médecine moderne. Une étude française publiée dans la revue Nature immunology, lundi 26 août, amène toutefois une piste supplémentaire. Le chercheur Julien Marie, et son équipe du centre de recherche en cancérologie de Lyon, se sont intéressés aux cancers du système digestif. Dans «environ 25 % des cas», ils se déclenchent après par une inflammation chronique, comme une pancréatite ou la maladie de Crohn.
L’inflammation est l’une des méthodes du système immunitaire pour répondre à une agression. Cette réaction ponctuelle peut parfois s’installer dans la durée, sous l’effet d’une infection persistante ou d’un dysfonctionnement. L’inflammation va alors «générer des dégâts sur l’ADN des cellules alentour», explique à Libération Julien Marie. Ces dégradations peuvent provoquer l’apparition d’un cancer à terme. Julien Marie et son équipe ont réussi à détailler un mécanisme responsable de l’inflammation qui conduit à la maladie dans le cas du cancer de l’intestin.
A lire aussi
Plus précisément, les chercheurs se sont intéressés aux cellules immunitaires, et en particulier à un sous-type de lymphocytes appelé Th17. Ces lymphocytes permettent aux cellules de l’intestin de se protéger contre les infections, mais sont aussi impliqués dans de nombreuses maladies inflammatoires. «Ils étaient souvent considérés comme un tout, mais on a voulu regarder dans le détail», souligne Julien Marie. Bien lui en a pris. Grâce à une technique récente permettant d’analyser le programme génétique de chaque cellule individuellement, ils ont mis en évidence «pour la première fois, qu’il existe en fait huit sous-types de lymphocytes Th17 ayant des rôles distincts. Avant, on pensait avoir un sac de pommes, mais en fait, dedans il y a des golden, des royal gala, etc.», illustre-t-il.
Et l’un de ces sous-types est particulièrement important. Absent chez la personne saine, il induit une forme d’inflammation chronique particulière et susceptible de dégénérer. «Le caractère chronique est essentiel pour l’apparition du cancer. Peut-être que l’inflammation est bénéfique quand elle apparaît» pour la défense immunitaire. «Mais, si elle s’installe, cela peut favoriser le développement d’un cancer», détaille Julien Marie.
«Le système immunitaire joue un rôle majeur dans le basculement, ou non, dans la maladie»
Cette étude ouvre des perspectives pour le diagnostic précoce des personnes à risque de développer des tumeurs, mais aussi, pourquoi pas, de nouvelles applications thérapeutiques. «Ces travaux montrent à quel point le système immunitaire joue un rôle majeur dans le basculement, ou non, dans la maladie», commente pour Libération, Steven Le Gouill, directeur de l’Ensemble hospitalier de l’Institut Curie. Pour lui, ce résultat a notamment un intérêt dans le développement des immunothérapies, afin d’éviter que ces traitements – s’appuyant sur le système immunitaire du patient pour s’attaquer à la tumeur – ne stimulent ces cellules nouvellement identifiées.
Mais tous les types de cancers ne sont pas concernés. Les travaux de Julien Marie ont été réalisés principalement sur des souris et dans un cas de cancer de l’intestin. En effet, les inflammations chroniques sont particulièrement présentes dans les pathologies de l’appareil digestif (foie, pancréas, intestins).
Cette avancée pourrait d’ailleurs permettre d’avancer une hypothèse pour expliquer un phénomène récent, et aussi inquiétant qu’inexpliqué pour l’instant : l’augmentation des cancers du pancréas y compris chez les moins de 50 ans. «Même les personnes jeunes sont plus à risque qu’avant de contracter cette maladie et nous n’avons pas d’explication précise sur ce changement de dynamique», pointe Steven Le Gouill. Aux Etats-Unis, l’obésité est notamment incriminée pour expliquer la hausse des cancers chez les plus jeunes. «Les apports alimentaires peuvent générer des inflammations chroniques. Cela peut commencer tôt», renchérit Julien Marie, avant 70 ans, l’âge médian de diagnostic des cancers en France. Le chercheur estime qu’un test diagnostic pourrait être développé d’ici trois à quatre ans sur la base de ses recherches. Pour qu’une thérapie soit mise en place, il faudra attendre plus longtemps.