Les bagages sont faits et les au revoir aussi. François (1), formé au Burundi, a travaillé dans un établissement du nord de la France, comme psychiatre. Mais après deux années de service, l’hôpital n’a pas pu, légalement, signer un nouveau contrat avec le ressortissant rwandais. La mobilisation de ses collègues n’y a rien fait. Le blocage est statutaire. «Ma cheffe avait tout fait pour me garder, en faisant même appel à la préfecture. Mais il n’y a pas d’avenir en France pour moi, déplore le médecin, amer. On bouche les trous pendant plusieurs années, et ensuite, on vous jette.»
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François commence le 1er février dans un établissement à Bâle, en Suisse, toujours en psychiatrie. «Là-bas, il y a des exigences de niveau, c’est tout à fait normal pour notre métier, mais en revanche, il n’y a pas de difficultés administratives.» Alors qu’en France il touchait, malgré son expérience, un smic et pas plus de «2 000 euros net avec les gardes», le praticien touchera l’équivalent de 5 000 euros de l’autre côté de la frontière. Suffisamment, selon lui, pour améliorer son niveau de vie, et ce même si tout est plus cher là-bas.
«J’ai préféré affronter la barrière de la langue»
Mohamed Lahyeni est parti pour des raisons financières, bien sûr, mais pas que. Le médecin généraliste tunisien, qui a travaillé un an en France pendant la crise du Covid, a traversé le Rhin en octobre 2022 pour pouvoir se spécialiser. «Revenir à un statut d’étudiant pour devenir gastro-entérologue ne m’a pas fait peur, car même en revenant en arrière, je suis mieux payé qu’en France», explique le soignant de 33 ans. Autre argument de taille, qui a convaincu Malek Chaabouni, médecin tunisien pourtant lauréat des épreuves de vérification des connaissances (un concours très sélectif permettant une reconnaissance de plein droit d’un diplôme obtenu hors de l’UE), de rejoindre Hambourg en octobre 2021 : «Lorsqu’on a passé cette spécialisation en Allemagne, on n’obtient pas seulement un droit d’exercice de plein droit, mais un vrai diplôme reconnu même en France.» Les deux praticiens font partie des rares médecins étrangers passés par la France à témoigner, beaucoup refusent catégoriquement d’évoquer leur expérience française, voulant laisser définitivement cet épisode derrière eux.
«J’ai plein d’amis qui travaillent en France pour une seule raison : ils n’avaient pas les moyens de remplir le compte bloqué de 13 000 euros nécessaire pour aller en Allemagne», constate Houssem Sabouni, cardiologue formé en Algérie et installé en Allemagne depuis 2019. Oussama Ziouchi, compatriote anesthésiste-réanimateur dans un hôpital près de Nuremberg depuis avril 2023, n’est pas non plus passé par la case France, le bouche à oreille ayant fait son œuvre. «Je suis francophone et francophile, j’ai baigné là-dedans, la logique aurait voulu que j’aille en France. Mais j’ai préféré affronter la barrière de la langue et apprendre l’allemand. Je me suis souvent demandé : “Mais qu’est-ce que je fais en Bavière ?”» raconte-t-il.
Paie identique aux locaux à expérience similaire, visa simplifié pour le médecin et ses proches, possibilité de changer d’hôpital facilement… L’Allemagne est bien plus accueillante pour les médecins étrangers. Celui qui a exercé dix ans en Algérie résume simplement son choix du pays voisin : «Le plus bas salaire que j’ai touché, au tout début, était de 3 200 euros, tandis que certains Padhue français tournent au smic. Ici, au moins, il y a une perspective de carrière et de vie sur le long terme.»
(1) Le prénom a été modifié.