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Charente-Maritime : face aux pics de cancers pédiatriques, «on attendait peut-être plus mais c’est la première fois qu’un préfet réagit»

La Commission nationale du débat public a préconisé lundi le lancement de nouvelles études sur les cancers pédiatriques possiblement liés aux pesticides dans la plaine d’Aunis. «Mitigée», l’association Avenir Santé Environnement note que l’Etat réagit enfin.
A Saint-Rogatien, sept cancers pédiatriques ont été enregistrés entre 2008 et 2022, au lieu de 1,8 attendu statistiquement. (Jc Milhet/Hans Lucas.AFP)
par Gilles Caprais, Correspondance à La Rochelle
publié le 30 avril 2025 à 12h09

Dans la plaine d’Aunis, vaste étendue de cultures céréalières située à l’est de La Rochelle (Charente-Maritime), de nombreux habitants s’inquiètent depuis plus de dix ans d’un nombre anormalement élevé de cancers pédiatriques. Ils craignent les pesticides autant que les fumées de l’usine d’enrobés, sans avoir le sentiment d’être pris au sérieux par les pouvoirs publics. La réponse de l’Etat sera-t-elle enfin à la hauteur de leurs attentes ? C’est l’espoir de plusieurs responsables associatifs, qui ont pour la première fois le sentiment que la préfecture les entend.

Lundi 28 avril au soir, la Commission nationale du débat public (CNDP) a rendu son avis sur le «cluster présumé de cancers pédiatriques» de la plaine d’Aunis. La CNDP avait été saisie le 6 novembre par le préfet de la Charente-Maritime, Brice Blondel, qui avait lui-même réagi aux révélations de l’association Avenir Santé Environnement (ASE). Testés en laboratoire, les cheveux et l’urine de 72 enfants de la plaine d’Aunis contenaient des pesticides dont l’utilisation est interdite en agriculture (mais pas toujours dans la sphère domestique) : néonicotinoïdes, lindane, atrazine, dieldrine…

«Surincidence avérée»

Dès 2018, le CHU de Poitiers avait signalé à l’Agence régionale de santé «un nombre anormalement élevé de leucémies infantiles» dans la commune de Saint-Rogatien. Ces observations ont été confirmées en mars 2025, dans une étude financée par la Ligue contre le cancer et conduite par le Registre des cancers de Poitou-Charentes et le CHU de Poitiers, notant un «excès de risque» dans plusieurs zones. A Saint-Rogatien, 7 cancers pédiatriques ont été enregistrés entre 2008 et 2022 (au lieu de 1,8 attendu statistiquement), surtout des hémopathies malignes. A Saint-Vivien, c’est 5 cas de cancers solides, contre 1,1 attendu.

La CNDP voit une «surincidence avérée» mais juge nécessaire d’«objectiver» les données existantes. La situation «n’est pas automatiquement qualifiable techniquement de cluster, notamment au regard des causes potentielles», écrivent Ilaria Casillo et Francis Beaucire, les deux garants de la Commission, dont la mission est de veiller au bon déroulement de la concertation.

Ils suggèrent de croiser les données existantes, de «reprendre scientifiquement les études citoyennes» sur les cheveux et les urines, et de lancer une étude sur la pollution des jardins, où les pesticides sont utilisés par des particuliers. Ils invitent les parties prenantes à se réunir en ateliers et à prendre «à court terme» des mesures «de gestion des bordures de champs et d’usines, de protection des captages d’eau». Il pourrait s’agir, par exemple, d’annoncer les épandages de pesticides via une application, afin que les riverains puissent au moins fermer les fenêtres. Les discussions avec les professionnels s’annoncent difficiles. En 2023, la concertation avec les agriculteurs, parfois houleuse, n’avait débouché sur rien de concret. Aux élections professionnelles de janvier 2025, la Coordination rurale, plus radicale que la FNSEA, est arrivée en tête en Charente-Maritime. Ses positions sont très éloignées de celles d’ASE, qui milite pour l’interdiction des pesticides de synthèse et pour une transition agricole.

«Plans d’actions nationaux»

«On attendait peut-être plus… Mais c’est quand même la première fois qu’un préfet réagit», constate Franck Rinchet-Girollet, le porte-parole d’ASE. «Mitigée», l‘association continue toutefois de parler d’une «vraie défaillance du côté de l’Etat». Seul 25% du territoire français est couvert par un registre des cancers – c’est le cas de l’ancienne région Poitou-Charentes. «Il faut qu’on ait une multitude de registres territorialisés des cancers pour voir les surincidences. Et là, on aura peut-être des plans d’actions nationaux», espère Gwenaëlle Mondet, référente du pôle recherche d’Avenir Santé Environnement. Et quand l’excès de risque de cancer est caractérisé, c’est la recherche des causes qui est jugée défaillante. «Ce qui se passe chez nous se passe ailleurs : en Loire-Atlantique, dans le Haut-Jura, vers l’étang de Berre… On ne dit pas que toutes les surincidences sont liées à des zones céréalières. Mais à chaque fois qu’on a des surincidences, il faut faire de la recherche en santé environnementale, et en tirer des conclusions.»

Le préfet Brice Blondel souhaite que Santé publique France et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) soient impliqués dans les études qui seront lancées prochainement. Sur les questions liées aux pesticides – possible utilisation de molécules interdites, manque d’études sur les effets «cocktail», autorisations de mise sur le marché jugées irrégulières – il se tourne vers le haut : «Il y a de l’indignation, des questions et un besoin d’interpeller non pas les pouvoirs publics locaux, mais le gouvernement.»