Ecrire, est-ce consentir ? C’est cette drôle de question qui était au cœur d’un colloque organisé la semaine dernière, à l’hôpital Pompidou à Paris. Avec pour précision : «Du consentement du patient à la responsabilité médicale, quelle place de l’écrit en médecine ?»
De fait, la médecine n’a jamais trop aimé les mots écrits, avec leur côté sérieux, définitif, pesant, avec ce sentiment qu’ils sont loin des aléas de la relation personnelle qui se joue entre un malade et son médecin. Parler oui, écrire pas trop. Quant à la confiance, elle se vit plus qu’elle ne s’écrit. Et donc les malades écrivent peu. A peine un patient sur huit a écrit des directives anticipées pour énoncer ce qu’il souhaite pour la fin de sa vie. Quant aux médecins, on le sait bien, ils ont l’écriture illisible, peut-être pour ne pas être lus. Et pourtant, on le constate, aujourd’hui, il y a de plus en plus d’écrits, souvent utilisés comme «preuves» en cas de responsabilité médicale en cause.
Le cadre, d’abord. Comme le rappelle l’ordre des médecins dans ses commentaires du code de déontologie, le point de départ tourne autour de la question du consentement, pierre angulaire de la relation. «Le médecin doit recueillir le consentement avant tout acte médical. Celui-ci doit être “libre et éclairé”.» Concrètement, «le médecin doit informer le patient sur son état, sur les investigations et les soins qu’il propose, sur les risques fréquents ou graves de l’acte médical. Ces informations doivent permettre de prendre une décision en toute connaissance de cause». Généralement, l’expression de ce consentement est l’oral, mais dans certains cas prévus par la loi, il doit se faire par écrit. «Ce consentement écrit concerne les actes liés à la fécondité ou à la grossesse (par exemple, interruption volontaire de grossesse), des actes de prélèvement de tissus, de cellules et de collecte de produits du corps humain, de recherche clinique, d’examen des caractéristiques génétiques.» Et l’ordre ajoute : «La loi n’oblige pas à donner son consentement par écrit pour une intervention chirurgicale, mais il est conseillé au médecin de recueillir ce consentement par écrit dès qu’il s’agit d’une décision importante.»
«Le médecin a aussi un devoir d’assistance»
L’écrit se veut donc plus solennel, renvoyant à un acte médical plus lourd. Paradoxalement, il peut être aussi le signe d’une marque de méfiance, en tout cas il peut involontairement entamer le lien de confiance. C’est ce qu’a montré, lors du colloque, le Dr Nicolas Foureur, dans une étude réalisée sur la question des refus de transfusion sanguine par les témoins du Jéhovah. C’est une situation médicale délicate : faut-il passer outre la volonté affichée d’une personne de refuser toute transfusion, même si la vie de la personne est en jeu ? Une question qui se pose en amont, lors des accouchements mais aussi lors de certaines opérations.
Que faire ? Cette problématique renvoie, plus généralement, aux refus de soins que le patient peut à tout moment exercer. Selon le code de déontologie, là encore, «le patient peut refuser le traitement ou la prise en charge que le médecin propose. Il peut aussi l’interrompre à tout moment à ses risques et périls. Le médecin doit respecter sa volonté, mais il doit aussi informer le patient des conséquences de ce refus. Cette situation est particulièrement délicate, commente l’ordre, car le médecin a aussi un devoir d’assistance lorsque la vie de son patient est en jeu.»
Dans le cas du refus de transfusion, le centre d’éthique clinique des hôpitaux de Paris a été sollicité par des patients, tous Témoins du Jéhovah, qui voulaient s’assurer que leur volonté serait bien respectée. Il y avait aussi des demandes d’équipes qui se demandaient si elles devaient opérer d’une greffe de foie une patiente qui refusait à l’avance toute perfusion. «La situation est difficile, car la demande n’est pas toujours absolue. Des patients peuvent vouloir dire : “je ne veux pas de transfusion, mais si je risque de mourir, à vous de décider”», raconte Nicolas Foureur. «D’autres, en revanche sont catégoriques : “je n’en veux pas même au risque de mourir”. Toute la difficulté est de bien comprendre ce que souhaite la personne. Jusqu’où aller, ou ne pas aller ?» Et c’est là que l’écrit intervient. On pourrait croire que d’écrire la situation engendrerait alors de la confiance, en mettant tout à plat. «Or, bien souvent, la demande d’une signature fige la situation, elle crée une certaine méfiance», raconte le Dr Foureur, «et elle peut même provoquer un risque de perte de confiance et de chance».
«Un mail, ce n’est pas rien, mais cela ne suffit pas»
L’écrit en médecine, comme signe d’une méfiance ? Ce risque, on le retrouve dans l’existence de bon nombre de formulaires que des sociétés savantes, des cliniques, voire des assurances vont réclamer aux patients. Ces derniers pouvant les recevoir comme une volonté de se décharger de toute responsabilité de la part de la structure. Marc Dupont, de la direction juridique des Hôpitaux de Paris a montré, lors de ce colloque, un florilège de ces demandes qui sont toutes illégales. Ainsi, une association française de médecins qui fait signer un document de consentement éclairé. «Autrement, est-il écrit dans le formulaire, en son absence, l’intervention sera annulée.»
Ou encore telle clinique privée qui fait signer un consentement éclairé, affirmant pour le justifier «que la loi sur les droits des malades exige que le consentement soit écrit», ce qui est inexact. «En fait, cela a beaucoup changé», a rappelé Marc Dupont, citant ainsi un commentaire de l’ordre des médecins, datant de 1947. «Après avoir établi un diagnostic ferme, et surtout quand la vie est en danger, le médecin doit s’efforcer d’imposer sa décision.» Imposer… on est loin d’un consentement libre. «En 1997, il y a eu un coup de tonnerre avec l’arrêt Hedreul», poursuit ce juriste. «Cet arrêt a imposé la charge des preuves au médecin et non plus au patient, preuve que le médecin a bien exécuté son obligation d’informer.». Et pour décharger le médecin, rien de mieux qu’un écrit pour le prouver.
Bref, en médecine l’écrit reste chargé du poids de la responsabilité. «Ce n’est pas parce que le patient a signé qu’il a compris et que l’on peut parler d’un consentement libre et éclairé», a insisté un chirurgien, spécialisé dans les greffes de foie. «La parole reste essentielle.» Certes, mais quid à l’heure du numérique omniprésent, des signatures électroniques qui se multiplient ? Et que valent les mails ? La directrice juridique des hôpitaux de Paris s’est montrée réservée. «Un mail, ce n‘est pas rien, mais cela ne suffit pas. D’abord, parce que l’on ne sait pas s’il a été lu. De plus, on n’a pas d’assurance sur le destinataire. Reste que c’est quand même un élément de preuve.» L’écrit, même sous sa version électronique, toujours alourdi par le poids du risque de contentieux.