Les familles ont-elles conscience du danger que représente l’alcool pour les jeunes ? Le sondage OpinionWay que la Ligue contre le cancer dévoile ce lundi 18 décembre est à cet égard inquiétant. Alors que les fêtes de fin d’année approchent, l’association se dit même «effarée» des résultats obtenus. Pour cause, 70% des adultes interrogés ne voient aucun problème à laisser des adolescents boire au cours des repas festifs, 30% élargissant même l’autorisation aux moins de 15 ans. Censés fixer les limites, les parents brillent par leur laxisme : un sur deux dit ne pas se formaliser que leur enfant goûte de l’alcool durant les agapes. Pour 32% des Français, la période est même idéale pour initier les jeunes aux boissons alcoolisées. Avec un étalonnage au doigt mouillé : si les moins de 15 ans doivent s’en tenir au cidre, à partir de 16 ans, c’est open bar pour bière, vins et champagne, et dès 17 ans pour les alcools forts, whisky, rhum ou vodka.
«Cela atteste d’une large méconnaissance du risque de développer une addiction qui peut résulter de la consommation précoce d’alcool, s’alarme la Ligue contre le cancer. Le cerveau de l’adolescent, à cause d’un processus de maturation inachevé, est particulièrement vulnérable aux substances psychoactives.» Cette permissivité intrafamiliale vis-à-vis de l’alcool se retrouve d’ailleurs dans les statistiques de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives : en 2021, près de 86% des jeunes déclaraient avoir consommé de l’alcool avant l’âge de 17 ans. Et ce, en toute bonne conscience, la plupart des adolescents estimant l’ivresse ponctuelle inoffensive pour leur santé, et sans rapport avec une addiction toujours associée dans leur esprit à une consommation quotidienne.
Consommation d’alcool banalisée
Une perception à rebours des mises en garde diffusées par les milieux scientifiques depuis près d’un demi-siècle. «L’alcool est la deuxième cause évitable de mortalité par cancer, responsable chaque année de 28 000 nouveaux cas», rappelle l’Institut national du cancer sur son site. La faute à l’éthanol, qui agresse les cellules et en particulier l’ADN, favorisant le développement de tumeurs au niveau de l’appareil digestif, du foie ou du sein.
Face aux ravages de l’alcool, les pouvoirs publics font montre d’une inaction incompréhensible, dénonce la Ligue contre le cancer. Pis : ses campagnes de prévention paradoxales, peu incisives et non assorties d’effets dissuasifs (comme l’instauration d’un prix minimum, le renforcement du contrôle de l’interdiction de vente aux mineurs ou la limitation de la publicité dans l’espace public et sur les réseaux sociaux) contribuent au contraire à banaliser la consommation d’alcool. «Il est plus que temps, en 2024, de mettre fin à cette ambiguïté délétère et de porter clairement des messages de prévention accompagnés d’actes concrets, comme cela commence à être le cas pour le tabagisme», insiste l’association, qui presse l’exécutif d’engager un plan national de lutte contre l’alcool.
Ministre «sédentaire» et «stressé»
Pas gagné. Car au plus haut sommet de l’Etat, l’ambivalence est toujours de mise. S’il a réaffirmé le 11 décembre à Toulouse que «la prévention fait partie de [ses] priorités en santé», Emmanuel Macron semble exclure l’alcool du champ des préoccupations officielles. Visiblement sensible aux arguments du lobby alcoolier, le chef de l’Etat semble même faire tout son possible pour entraver l’action des autorités sanitaires en la matière. La récente annulation de deux campagnes de prévention contre l’alcool préparées par Santé publique France, dont une devait être diffusée cet automne durant la Coupe du monde de rugby, en est un exemple. Tout comme le refus obstiné de l’Elysée d’accorder un soutien officiel au «Dry January», opération visant à encourager la population à un mois de sobriété après les excès de fin d’année. Depuis fin 2019, et l’annulation de la campagne préparée par Santé publique France pour appuyer le Dry January, les associations et les addictologues assurent seuls la promotion de cette opération.
«La confiance envers le gouvernement pour mener une politique cohérente et résolue est sérieusement altérée», ont protesté le 21 novembre une cinquantaine d’universitaires et spécialistes en addictologie, réclamant par courrier au ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, «un geste fort» en faveur du Dry January. En vain. «Je suis toujours très méfiant ou prudent quand on dit : le gouvernement lance une campagne pour savoir comment vivre pendant un mois», s’est défaussé sur BFMTV le ministre, soucieux de ne pas enfreindre la consigne du chef de l’Etat d’«arrêter d’emmerder les Français». En fait de soutien officiel au Dry January, le locataire de l’avenue de Ségur se contente d’une promesse d’exemplarité personnelle : «Si je prends mon exemple – je suis très sédentaire, un peu stressé par moments –, je vais essayer de profiter de ce mouvement collectif pour ne pas consommer d’alcool. […] Je serai sobre, j’ai d’ailleurs commencé maintenant.» Sans nul doute très insuffisant pour dissuader les jeunes de trinquer en famille, avant comme après le premier de l’an.