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Libération
Reportage

Covid, grippe, bronchiolite : au CHU de Bordeaux, «tout tient à un fil»

La pandémie de Covid-19 en Francedossier
Malgré le déclenchement du plan blanc au sein du service pédiatrique, le personnel de l’hôpital est épuisé par les crises à répétition. Le relâchement des gestes barrière par la population ajoute de l’amertume à la fatigue.
Au CHU de Bordeaux en 2020. (Thibaud Moritz/ABC. Andia)
par Eva Fonteneau, correspondante à Bordeaux
publié le 1er décembre 2022 à 6h55

«Comment vont les soignants ? Ils sont à genoux», tranche d’emblée Brigitte Llanas, cheffe du pôle des urgences pédiatriques au CHU de Bordeaux (Gironde). Avec la recrudescence du nombre de cas de bronchiolites, qui touche surtout les enfants entre 0 et 2 ans, un nouveau cap a été franchi cette semaine. Le service admet aujourd’hui 180 patients par jour, contre 110 en temps normal. «Tout le monde est épuisé par ce rythme. Dans notre service, environ 40 lits sont constamment fermés cette saison. Tout tient à un fil», se désole la cheffe des urgences. Elle pointe également une hausse du pourcentage d’hospitalisation, «avec environ un tout-petit sur deux qui reste hospitalisé après consultation pour détresse respiratoire, c’est énorme». A cela, s’ajoute la décompensation (dégradation brutale de l’organisme) plus rapide des enfants qui ont des pathologies chroniques préexistantes. Son seul espoir avec le retour du Covid et l’arrivée de la grippe ? «Que les gens partent en vacances dans d’autres villes pour rééquilibrer la charge.»

Pour soulager les équipes et prévenir le pic hivernal, le CHU de Bordeaux a déclenché fin octobre le plan blanc au sein du service pédiatrique. Dans un premier temps, pour combler les trous au planning, des retraités, des intérimaires ou des professionnels tout juste sortis d’école ont été appelés en renfort. Un moment de respiration, qui s’est révélé insuffisant. Pour freiner cette triple épidémie, la cellule de crise demande désormais aux agents du pôle pédiatrique, parmi lesquels des puéricultrices ou des aides-soignants, de revenir sur une journée pendant leurs congés entre le 25 novembre et le 15 janvier, contre une rémunération en heures supplémentaires ou une récupération. Cette mesure complète celle des déprogrammations médicales. «Elle ne fait pas entièrement l’unanimité, concède Brigitte Llanas, mais on constate quand même pas mal de solidarité. Certains soignants ont même proposé de revenir sur plusieurs jours de congés.»

«L’équilibre est trop instable»

Côté syndicat, on s’étrangle. «Ce qu’on oublie de dire, c’est que cette mesure ne se base pas sur le volontariat, elle est obligatoire. Et s’il y a eu solidarité, elle est à la marge. La plupart des soignants sont furieux ou n’osent pas protester, car ils sont trop précaires. Certains nous ont même confié qu’il faudra que la police vienne les chercher chez eux pour revenir un jour de congé», rapporte Franck Ollivier, syndiqué SUD santé sociaux. L’obligation passerait d’autant plus mal que beaucoup de soignants ont déjà très peu de jours pendant les vacances de Noël. «Solidaires ? Ça fait déjà longtemps qu’ils le sont. Ils ne comptent plus leurs heures sup. La conséquence, ça sera des arrêts maladie pour burn-out ou de nouvelles démissions», prévient-il.

Aux urgences adultes, le moral est lui aussi au plus bas. «Pour l’instant, on arrive encore à s’organiser, mais nous sommes très inquiets pour les semaines à venir», reconnaît Philippe Revel, chef de pôle des urgences au CHU de Bordeaux, premier grand établissement français à avoir mis en place, cet été, une restriction de la prise en charge la nuit. «Avec le manque de lits et d’effectif, nous n’avons pas les moyens d’accueillir une nouvelle vague épidémique. L’équilibre est trop instable.» Il décrit des équipes paramédicales «épuisées par ces périodes de crise à répétition, sans répit». Depuis le début de l’automne, trois médecins urgentistes ont déjà quitté leurs postes.

«Il faut aussi que les gens y mettent du leur»

«On met déjà des gens dans les couloirs car on manque de place, alors la grippe, le Covid et la bronchiolite ensemble ? On va finir par mettre les gens dehors, c’est dramatique», peste Annie (1), aide-soignante aux urgences. «Tout ce qu’on peut faire, c’est rester sur le pied de guerre et espérer que ça tienne. On attend toujours plus de moyens de la part de l’Etat, mais il faut aussi que les gens y mettent du leur. Beaucoup de cas pourraient être évités», tacle-t-elle.

Un constat partagé par le professeur Denis Malvy, infectiologue au CHU de Bordeaux qui n’a jamais été confronté auparavant à une triple épidémie. «Avec un taux d’incidence qui flambe au-dessus de 500 pour 100 000 habitants, la Nouvelle-Aquitaine est parmi les régions les plus touchées par la reprise du Covid, mais je vois encore des gens sans masque dans les transports en commun et les endroits bondés, ou d’autres éternuer sans mettre la main devant la bouche. C’est affligeant !» Mais ce qui l’inquiète le plus, c’est le retour du virus de la grippe, sous sa forme agressive. «Les trois semaines qui nous séparent des fêtes vont être déterminantes, avertit-il. Il faut davantage communiquer sur les gestes barrières, les vaccins et les médicaments qui existent. Il y a trop de trous dans la raquette. La mobilisation citoyenne peut faire pencher la balance.»

(1) Le prénom a été modifié.