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Libération
Reportage

Restaurants et QR code : à Deauville, la bande-annonce du pass sanitaire

La pandémie de Covid-19 en Francedossier
Lancé en avance dans la station normande, le pass sanitaire reçoit un accueil mitigé parmi les professionnels de la restauration qui traversent un été bien calme entre météo capricieuse et flambée du taux d’incidence.
Alexandre Abbas, responsable de la Villa Gabrielle dans le centre de Deauville, vérifie le pass sanitaire d'une famille qui vient déjeuner. (Stéphane Lagoutte/Myop pour Libération)
publié le 29 juillet 2021 à 19h50

«On ne peut plus se permettre de fermer. Juillet et août sont les deux plus gros mois de l’année.» Attablé devant son café, Laurent Garcès, patron d’Augusto, petit resto chic à l’ambiance marine proche du centre-ville de Deauville, est inquiet. Dans la communauté de communes de cette station balnéaire très prisée de Normandie, le taux d’incidence du Covid-19 a explosé la semaine dernière. De 320 cas positifs pour 100 000 tests lundi, on est passé à 807 vendredi.

Pour éviter de nouvelles baisses de rideaux comme à Royan (Charente-Maritime), le préfet a proposé une solution qui n’allait pas de soi vendredi dernier : prendre les devants, instaurer le pass sanitaire dans les restaurants avant même l’entrée en vigueur du projet de loi sanitaire votée au pas de charge dimanche. Le tout, bien sûr, autour d’un «consensus social». Une «expérimentation» dans l’espoir d’éteindre la flambée de l’épidémie sur la côte fleurie. Et de sauver la saison.

«Du petit-déjeuner au dernier verre au bar»

Laurent Garcès a topé avec le préfet. Une sorte de donnant-donnant, à ses yeux. «J’ai été aidé par l’Etat donc je participe à l’effort collectif», explique le restaurateur. Comme les autres professionnels concernés, il s’accommode désormais de l’application TousAntiCovidVérif pour scanner les QR codes des clients. Mais les premiers effets de la mesure ont déjà commencé à se faire sentir.

Face aux inquiétudes des patrons de restos et cafés, le ministre de l’Economie a tenté de se montrer rassurant mercredi matin sur RTL, promettant le soutien aux entreprises pénalisées par l’application du pass sanitaire obligatoire.

Ils sont nombreux à jouer le jeu de cette expérimentation dans la station normande malgré la crainte de décourager la clientèle. Ce qui viendrait s’ajouter à un début d’été pas gâté par les aléas de la météo. Si le taux de réservation des meublés est légèrement plus élevé que l’an dernier à la même date, les visiteurs à la journée sont étonnés de pouvoir garer leur voiture à proximité du centre-ville sans problème.

A l’emblématique hôtel Normandy, tenu par le groupe Barrière, on est plus que volontaire. L’application en avance du pass sanitaire se fait même «du petit-déjeuner au dernier verre au bar», claironne Thomas Chalet, responsable clientèle, sous les boiseries du lobby feutré de canapés en velours. Un dispositif tellement XXL que les rares clients qui ne sont pas doublement vaccinés ou détenteurs d’un test négatif de moins de quarante-huit heures sont dirigés vers une zone de tests installée dans l’hôtel.

«On était à deux doigts de fermer à cause du taux d’incidence»

Après un an et demi de pandémie, essorés par les fermetures, les confinements et les difficultés de recrutement, les restaurateurs du centre-ville sont plutôt volontaires. Le restaurant la Flambée est tenu par le président de l’Union des métiers des industries et de l’hôtellerie (Umih) du Calvados, Yann France, qui a participé aux discussions avec le préfet la semaine dernière. «On était à deux doigts de fermer à cause du taux d’incidence, donc il fallait prendre des mesures et le pass sanitaire a été un bon compromis. A 95 %, les professionnels ont tous été d’accord, raconte le patron. Etre d’accord n’épargne pas les sueurs froides à l’idée d’un pass sanitaire généralisé et obligatoire après le 9 août. Pour l’instant, seuls 50 % maximum des gens sont vaccinés en France. Donc, c’est aussi des clients en moins.»

Pas loin des cabines de plage mythiques et entre les maisons à colombage, toutes les brasseries aux nappes blanches n’y vont pas du même entrain, comme à la Villa Gabrielle. «On ne demande pas systématiquement le QR code», confirme le responsable Alexandre Abbas, en accueillant ses clients devant une terrasse clairsemée. La clientèle bourgeoise, rassurée par la mesure, semble pourtant y consentir sans broncher. «Ça permet de revivre et c’est le même geste que lorsque l’on scanne déjà à l’entrée des restaurants avec l’application TousAntiCovid» pour être rappelé en cas de présence d’une personne testée positive, acquiescent Isabelle et Salim, deux Parisiens en vacances, venus déjeuner à Deauville. Au Bar des amis, sur l’autre rive de la Touques, côté Trouville, une affichette réclame la présentation du pass à l’entrée. A la main, on a même rajouté la mention «arrêté préfectoral» pour faire plus sérieux, alors que la mesure se fait sur la base du volontariat. «Ça se passe très bien, les gens comprennent et nous le présentent immédiatement», se félicite Patrick Borde, le tenancier.

Ailleurs, l’expérimentation a été tentée mais vite suspendue. «Des clients habituels ont été assez réticents, et des touristes ont pris ça de travers et sont partis. Je les comprends, car ce n’est pas encore obligatoire», confie Philippe Zheng, jeune buraliste de l’Hôtel des sports qui a arrêté au bout de trois jours. A quelques mètres, la pizzeria Bertella a vu sa clientèle s’envoler, après avoir demandé le pass le week-end dernier. Océanne Mathieu, serveuse : «Le premier jour, on a perdu une table de treize personnes pour le soir même. Tant que ce n’est pas obligatoire, on arrête.»