Drôle de temps pour les malades. Il en existe, maintenant, une nouvelle catégorie : les faux patients. La direction de l’hôpital de Brive, voulant sûrement bien faire, s’est lancée dans une expérience surréaliste : embaucher des comédiens pour jouer des malades, afin ensuite d’analyser la prise en charge et les attitudes des différents acteurs de soins. Et cela en plein Covid…
L’histoire, qui a été détaillée par France Bleu, commence fin novembre. Ce jour-là, un patient se présente au centre médico-psychologique. L’homme se dit perdu, se montre désorienté. Et tient des propos incohérents. Cela dure. Il mobilise pendant un long moment une partie du personnel. Valérie Médard, responsable CFDT du personnel, raconte : «Ce sont des gens qui se sont introduits dans des services de soins et qui ont joué les patients égarés. Il ne faut pas oublier qu’on est dans un service de santé, et ces gens ont été pris à part entière pour des patients. Ils ont été traités comme tels. Sur certains endroits, la supercherie a duré entre trois quarts d’heure et une heure.»
«Stress inutile» infligé aux équipes épuisées
Selon France Bleu, cela ne s’est pas arrêté là : un couple de comédiens a ainsi officié pendant dix jours, se promenant dans six services de l’hôpital, et par deux fois cela a tourné vinaigre, obligeant au final l’acteur à révéler sa situation tant cela risquait de s’emballer. «Une fois, la comédie avec le faux malade a duré trente à quarante-cinq minutes, on ne comprenait rien, alors il nous a finalement donné le numéro de sa sœur, qui était en réalité une autre comédienne. Elle a conseillé à l’infirmière du service chirurgie de miauler pour calmer le patient. Dans le service psychiatrie, elle a demandé qu’on gazouille comme un oiseau», a détaillé Victor Teixeira, secrétaire général de la CGT.
Devant cette gestion inédite des ressources humaines – à une époque, faut-il le rappeler, où les tensions hospitalières sont au maximum –, les syndicats se sont dit ahuris, dénonçant avec force un «stress inutile» infligé aux équipes déjà épuisées, s’insurgeant vertement face à une méthode «empruntée au privé». Devant le tollé général, la direction a fait son mea culpa. «L’intervention était prévue de longue date, et elle devait permettre de préparer une inspection pour obtenir une certification», a expliqué Michel Da Cunha, directeur adjoint de l’hôpital, qui reconnaît : «Les acteurs sont allés trop loin, ils sont restés trop longtemps, ils ont mis trop de pression sur l’équipe qui avait déjà beaucoup de travail, et on le regrette.» En somme, c’est la faute aux acteurs, ils en ont trop fait. Seule bonne nouvelle dans ce jeu de rôle hospitalier : une seconde intervention de la troupe d’acteurs devait se produire en début d’année, elle a été définitivement annulée.
«Anxiété généralisée probable»
Changement de lieu, et remontons vers le nord, en Normandie exactement, où il y avait eu cet incendie industriel gigantesque des entrepôts Lubrizol, en septembre 2019. Santé publique France vient de publier les résultats relatifs à la santé mentale des personnes exposées à l’incendie, et là, pas besoin d’acteurs, mais plutôt une évidence : il y a bien eu des vrais malades, contrairement à un air du temps qui voulait que le nuage de fumée ne se soit révélé guère nocif. «Les résultats obtenus montrent l’existence d’un lien entre l’exposition à l’incendie et la santé mentale des personnes exposées.»
Et les chiffres sont parlants : 6% de la population de la zone exposée a présenté «un trouble de stress post-traumatique probable et attribué à l’incendie» ; 15% de la population de la zone exposée a souffert d’une «anxiété généralisée probable, contre 9% en zone témoin» ; 18% de la population de la zone exposée a connu «une dépression probable, contre 12% en zone témoin». Au total, les résultats de l’agence Santé publique France pointent que «23% des répondants de la zone exposée présentaient au moins un trouble de santé mentale, et que 5% présentaient à la fois un trouble de stress post-traumatique probable et une dépression probable».
De l'autre côté du monde
Bref, ce n’est pas anecdotique. Les chercheurs, poussant un peu leur analyse, ont pu noter que «la prévalence des troubles psychologiques était plus élevée à proximité du lieu de l’incendie». Ainsi, «la population située dans un périmètre de 1 500 mètres autour des installations incendiées était celle qui présentait les prévalences les plus élevées pour les trois troubles par rapport à celle vivant à plus de 1 500 mètres : 13% de trouble de stress post-traumatique probable contre 5% chez les habitants plus éloignés ; 24% d’anxiété généralisée probable contre 14% chez les habitants plus éloignés ; 29% de dépression probable contre 17% chez les habitants plus éloignés».
Des résultats qui confirment les facteurs classiquement associés à ces troubles psychologiques, «comme l’isolement social, le dénuement économique ou les antécédents psychologiques». En conclusion, pour Santé publique France, ces résultats montrent que «ces troubles peuvent perdurer plusieurs années après l’accident industriel». En d’autres termes, pas besoin dans ce domaine d’embaucher des acteurs. Des malades, il y en a et il y en aura…