Doctolib de nouveau dans la tempête. Déjà critiquée pour son manque de protection des données, la start-up aux millions d’utilisateurs est pointée du doigt pour ses lacunes en matière de contrôles des praticiens référencés. Vendredi, le parquet de Montpellier, confirmant une information de la cellule investigation de Radio France, a indiqué qu’une enquête avait été ouverte début juillet pour «exercice illégal de la médecine» à l’encontre de deux personnes qui se faisaient passer pour des psychiatres sur la plateforme.
Sur le service de prise de rendez-vous en ligne, qui dit collaborer avec 3 000 000 professionnels en France, en Italie et en Allemagne, une patiente, Carole R., a été victime d’une escroquerie et a porté plainte après avoir prévenu le groupe. En juin, cette mère de famille cherche à consulter un psychiatre pour renouveler une ordonnance de Ritaline, le traitement de ses deux enfants atteints de troubles de l’attention. Mais son praticien habituel est en vacances. Carole R. se tourne alors vers un autre médecin, trouvé sur Doctolib. Il dit s’appeler David Cantat et présente sur sa page sa remplaçante : «Laura Smith». La consultation se fait en visio, sur WhatsApp, sans que Laura Smith n’allume sa caméra.
Carole R. décrit à Radio France un échange «lunaire». «La pathologie de mes enfants s’appelle le TDAH [pour trouble de l’attention avec hyperactivité, ndlr]. Je lui ai donc parlé avec cette abréviation mais je voyais bien qu’elle ne comprenait pas», explique-t-elle. Carole R. ne reçoit jamais d’ordonnance et, méfiante, fait opposition auprès de sa banque pour ne pas être débitée du montant de la consultation. Elle signale la situation à Doctolib le 21 juin et porte plainte, ce qu’a confirmé Me Madeleine Archimbaud, son avocate. L’affaire alerte jusqu’au conseil départemental de l’ordre des médecins de l’Hérault, qui a lui aussi déposé plainte pour «exercice illégal de la médecine».
«Il n’y a aucune surveillance»
Comment une telle escroquerie a-t-elle pu avoir lieu ? Pour être référencés sur Doctolib, les professionnels de santé disposaient jusqu’à présent d’un délai de quinze jours pour fournir les pièces nécessaires à la vérification d’identité. Mais durant cet intervalle, ils pouvaient utiliser la plateforme sans que leur droit d’exercer n’ait été vérifié. Les deux faux psychiatres ont ainsi pu fournir leurs services pendant ce temps précieux. Face aux critiques, le poids lourd de la prise de rendez-vous en ligne a annoncé mercredi dans un communiqué la suppression de ce délai. Désormais, aucune prise de rendez-vous ne pourra «être réalisée sur Doctolib avant que la vérification du droit d’exercer soit effective», assure l’entreprise, pour qui ce délai ne constituait cependant pas une «faille». Réfutant toute responsabilité dans l’affaire des deux faux psychiatres et s’estimant «victime de fraude», Doctolib indique avoir porté plainte contre X le 22 juillet, pour exercice illégal de la médecine et usurpation de titre, a confirmé vendredi le parquet de Montpellier. Contactée par Libération, la plateforme estime le phénomène marginal, disant n’avoir été victime qu’à quatre reprises depuis sa création d’individus ayant créé de faux profils de praticiens.
Certains professionnels du secteur, dont la Fédération des médecins de France (FMF), pointent cependant le manque de contrôle de la plateforme. «Il n’y a aucune surveillance si ce n’est leur surveillance interne. Ils disent discuter régulièrement avec des syndicats et des médecins mais autour de nous, personne n’est jamais appelé par Doctolib !» dénonce Jean-Paul Hamon, président de la FMF.
Problème, personne ne semble faire le poids face au géant de la prise de rendez-vous en ligne. «Comment voulez-vous contrôler un service en situation de monopole, qui pèse des milliards ?» s’indigne Jérôme Marty, président du syndicat de l’Union française pour une médecine libre (UFML), alors que la start-up a été valorisée cette année à 5,8 milliards d’euros, un record en France. On reproche aussi à la plateforme la protection dont elle bénéficie de la part du gouvernement. «Depuis des années, les ministres de la Santé successifs ne cessent de mettre la plateforme en avant. C’est la crise sanitaire qui a confirmé sa toute-puissance : des tests jusqu’à la vaccination, tout passait par Doctolib», regrette Jérôme Marty. «Nous n’étions pas le seul site de prise de rendez-vous, il y en avait plusieurs autres», se défend-on chez Doctolib, qui rappelle que son «cœur de métier» n’est pas seulement l’outil de prise de rendez-vous pour les patients, mais son logiciel mis à disposition des professionnels de santé sur abonnement. «Nous avons de nombreux concurrents», affirme une porte-parole de la start-up.
Equipe dédiée pour vérifier les identités
La semaine dernière, le groupe avait déjà été au cœur d’une polémique, pour avoir référencé des naturopathes aux pratiques douteuses, de la galaxie de Thierry Casasnovas et Irène Grosjean. Face à la controverse grandissante, Doctolib avait annoncé lundi avoir suspendu les profils de 17 praticiens liés à ces deux personnages. Le lendemain, l’ordre des médecins demandait à Doctolib de renforcer ses règles éthiques pour s’inscrire sur la plateforme. Mais ces décisions sont encore trop timides, pour Jean-Paul Hamon, de la FMF : «Aucune profession qui n’est pas une profession de santé, régie par le code de santé publique, ne doit être recensée sur la plateforme.»
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Pour éviter les dérives, Doctolib a annoncé qu’une équipe dédiée vérifiera désormais les identités et les fiches de présentation des professionnels exerçant des activités de bien-être non réglementées, dont font partie les naturopathes. Ils représentent aujourd’hui 3 % des praticiens référencés sur la plateforme et 0,3 % des rendez-vous. «La régulation des activités non réglementées, comme la naturopathie, est du ressort de l’Etat, pas d’une entreprise privée comme la nôtre», pointe-t-on cependant au sein de la start-up. Malgré tout, le groupe a prévu d’ouvrir une consultation avec son comité médical et professionnel, la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, les syndicats de professionnels de santé, les ordres de santé, les associations de patients et les autorités sanitaires, «afin de mieux encadrer le référencement des praticiens non réglementés» sur la plateforme. Assurant que de nouvelles mesures seront prises à l’issue de cette consultation.
Mise à jour vendredi après-midi.