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Exposition

Du dioxyde de titane, interdit comme additif alimentaire, largement retrouvé dans du lait maternel et animal

Dans une étude publiée ce 23 juillet, des scientifiques français mettent en évidence la présence de plusieurs formes du composé, classé cancérigène possible dès 2006, dans du lait commercialisé et celui de femmes allaitantes.
Du dioxyde de titane, observé au microscope électronique à balayage. Utilisé comme colorant blanc et épaississant, le composé est massivement utilisé dans l'industrie depuis des décennies. (SPL/Sciencephoto)
publié le 23 juillet 2025 à 18h48

Il est présent dans les dentifrices, les crèmes solaires, les médicaments, les peintures… Parce qu’il absorbe les UV, sert de colorant blanc et d’épaississant, le dioxyde de titane est massivement utilisé dans l’industrie depuis des décennies. Mais il a aussi été identifié comme cancérigène possible pour l’humain dès 2006 par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). La France l’a interdit comme additif alimentaire (le fameux E171) en 2020, et l’Union européenne en 2022. Pourtant, des scientifiques de Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), de l’AP-HP et du CNRS en ont retrouvé dans la quasi-totalité du lait maternel et animal qu’ils ont étudié. Leurs travaux ont été publiés ce mercredi 23 juillet dans la revue Science of the Total Environment.

«Quand on a vu les premières images des analyses apparaître, avec tous ces spots brillants qui représentaient les particules présentes dans le lait maternel, ça nous a étonnés», se souvient Anne Burtey, chercheuse à l’Inrae et co-autrice de l’étude. Des nano-particules de titane ont été retrouvées dans tous les échantillons de lait provenant de dix femmes qui habitent Paris ou sa proche banlieue. A des taux variables – certaines en présentant jusqu’à 15 fois plus que d’autres.

La totalité des laits animaux étudiés (qu’ils soient frais ou en poudre, issus de vaches, d’ânesses ou de chèvres, bio ou non) en contenaient aussi, en moyenne 133 millions par litre. Tout comme 83 % des laits infantiles analysés (issus du commerce, de 0 à 6, 0 à 12 et 12 à 36 mois, bio ou non), avec une moyenne de 400 millions de particules par litre.

Omniprésent dans l’environnement

Mais à y réfléchir un peu plus, ces résultats ne sont, admet la scientifique, pas si surprenants. Comme l’ont démontré d’autres travaux récents, le dioxyde de titane se trouve partout dans notre environnement. «Dans les eaux, les lacs, les rivières, les mers, dans les sols et dans l’air. Sachant qu’on respire cet air, qu’on boit de l’eau… De même pour les animaux. On ne savait pas vraiment à quoi s’attendre, mais on avait une forte suspicion.»

Et pour cause : cette substance chimique est largement produite et employée. En France, elle fait partie des quatre nanomatériaux les plus utilisés, d’après l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) : plus de 10 000 tonnes sont produites et importées chaque année. Le relargage par les usines, l’érosion des peintures sur les bâtiments, leur utilisation comme engrais sont autant de sources de contamination mises en évidence dans la littérature scientifique.

Chez les humains, «une étude un peu plus vieille en avait détecté dans des tissus de tumeur de côlon, une autre dans le placenta de femmes venant d’accoucher, ce qui suggérait une exposition du nouveau-né», rappelle la chercheuse. L’étude qui vient d’être publiée permet de montrer «que la glande mammaire est contaminée, et qu’il y a un passage de la substance de la mère au bébé par son lait.» Etudier le lait maternel a l’avantage de refléter à la fois l’exposition de la femme allaitante et celle du nouveau-né. Le lait commercialisé montre quant à lui l’exposition alimentaire à tout âge.

Et que sait-on précisément de l’impact du dioxyde de titane sur la santé ? C’est encore imprécis. Différents travaux ont suggéré qu’il pouvait favoriser le développement de cancer, ou être génotoxique (c’est-à-dire susceptible d’endommager l’ADN) et avoir des effets sur les organes des nouveau-nés. Données pas assez robustes, selon l’Anses, pour «statuer sur [sa] toxicité» en tant qu’additif mais suffisamment pour que l’E171 soit proscrit par précaution – il est «impossible de lever les incertitudes sur son innocuité», souligne l’Agence. Evalué cancérigène probable par le CIRC depuis près de vingt ans, il a été classé «cancérogène suspecté pour l’être humain par inhalation» par l’Agence européenne pour les produits chimiques en 2017. Mais cette dernière classification, contestée par les industriels, a été annulée par le tribunal de l’Union européenne – le gouvernement français, appuyé par la Commission, a formé un pourvoi contre cette décision.

D’autres travaux à mener sur la santé des enfants

Toujours est-il que les études sur l’impact de ces particules manquent. Celle publiée ce 23 juillet n’est qu’une pierre apportée à un édifice qui doit être plus grand. «Nous avons mis en évidence une multi-exposition à des formes différentes de dioxyde de titane. L’effet de ce mélange particulier, avec ces proportions particulières, doit encore être étudié. Il y a un grand besoin de travaux sur la santé des enfants qui naissent et sont exposés à ces nanomatériaux», insiste Anne Burtey. Il lui est donc impossible, pour l’heure, d’analyser à quel point et à partir de quel niveau la quantité de ces particules identifiée dans les différents laits est dangereuse. L’intérêt de futures recherches serait aussi de pouvoir établir des seuils de dangerosité – l’Anses n’en préconise pour l’heure que pour les travailleurs dans l’industrie.

L’équipe de scientifiques a prévu de mener d’autres travaux, à plus grande échelle, sur le lait maternisé et auprès de femmes vivant en région parisienne. Puis sur les effets de ces substances sur les organes des nouveau-nés. Anne Burtey appelle aussi d’autres institutions et chercheurs à s’emparer du sujet : «Notre travail a permis de dresser un état des lieux de l’exposition avec le nombre de particules présentes, leur composition, leur taille. A l’heure actuelle, on ne peut pas dire ce que cette multi-exposition provoque : il faut continuer les recherches à partir de cette base.»