Depuis le début du mois de mars, les centres de Protection maternelle et infantile (PMI) du Val-de-Marne se sont parés d’affiches qui décrivent un tabou chez les femmes enceintes et venant d’accoucher : la dépression périnatale (qui comprend la grossesse et l’année qui suit l’accouchement). Cette détresse touche environ une femme sur six. Ce pourquoi ces soignants du Val-de-Marne mettent aussi en place un dépistage systématique, sous forme d’auto-questionnaire pour les femmes pendant et après leur grossesse.
«Selon différents travaux français, environ la moitié des dépressions périnatales ne sont pas dépistées, et pas forcément bien prises en charge quand elles le sont. La systématisation du dépistage, associée à une meilleure sensibilisation des professionnels de santé, doit permettre de le résoudre.», explique Joan Tissier, psychologue clinicienne à la PMI de Créteil Beuvin. Le rapport publié ce mercredi 3 avril par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et Santé publique France appuie sa position : le suicide est la première cause de mortalité des femmes enceintes et de celles qui viennent d’accoucher.
Première cause de mortalité
Entre 2016 et 2018, 17 % des 272 mères mortes pendant ou dans l’année suivant leur grossesse se sont suicidées. Ainsi le suicide est devenu la première cause de mortalité. Il s’agit, surtout, d’une poursuite d’une tendance déjà observée et la confirmation du poids de la dépression périnatale. Cet état de tristesse pathologique se manifeste, comme toute dépression, par une «perte de vitalité, d’enthousiasme, d’intérêt, un ralentissement des idées, voire des douleurs physiques», égrène la psychologue Val-de-Marnaise. S’y ajoute des spécificités liées à leur maternité, et surtout une grande anxiété concernant leur bébé. «Les principaux symptômes sont des inquiétudes liées à leur enfant, qui ne mangerait ou ne dormirait pas suffisamment bien par exemple. Ces mères ressentent beaucoup de culpabilité, ont l’impression de ne pas être de bonnes mères, voire, pour les cas les plus graves, pensent que leur bébé serait mieux sans elles», décrit Joan Tissier.
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Car la période qui suit la grossesse est une période de fragilités, qu’un manque d’accompagnement peut aggraver. Ce risque est accentué par des inégalités sociales, qui peuvent rendre plus difficile l’accès aux soins ou augmenter la pression psychologique. «Le suicide maternel dépend de la sévérité de la dépression, associée à d’autres facteurs sociaux comme l’isolement, la précarité, d’éventuelles violences conjugales», précise la soignante. Ces inégalités se retrouvent d’ailleurs dans toutes les causes de mortalité de ces mères ou futures mères : le risque de mourir pendant la grossesse ou l’année qui suit est 1,5 fois supérieur pour les femmes issues de milieu modeste ou vulnérable, et même multiplié par deux pour celles venant d’Outre-mer ou les femmes migrantes.
Décès évitables
Ces nouveaux chiffres sont révélateurs de la fragilisation du système de santé, ici pour les femmes enceintes et leur bébé. Mais ils ne sont pas inéluctables : selon l’étude de l’Inserm, plus de la moitié des décès maternels sont considérés comme probablement ou possiblement évitables. «Dans deux tiers des cas, les soins dispensés n’ont pas été optimaux», écrivent les auteurs de l’étude. Et ce, alors que la fermeture de petites maternités suscite des débats dans le milieu, entre le maintien de l’accès aux soins à proximité du domicile des femmes enceintes, et qualité de soins dans des centres mieux dotés.
Les scientifiques dressent donc une série de recommandations, basées sur plus de prévention, de dépistage, d’une prise en charge multidisciplinaire et coordonnée entre soignants. Pour prévenir le suicide, Joan Tissier prône elle aussi la prévention qu’un dépistage systématique doit améliorer. «Plus on repère tôt les symptômes, plus on peut agir et accompagner la femme, insiste-t-elle. En PMI, selon les cas, on propose des visites à domicile, un soutien renforcé avec une sage-femme ou une puéricultrice, des invitations à des accueils et activités parents enfants.»
Si les Etats-Unis ont été précurseurs en décelant le sous-diagnostic majeur de cette pathologie dès 2010, la France commence à bouger. Des projets essaiment localement depuis quelques années. Le Covid a pu aussi accentuer les prises de conscience. Le tabou commence doucement à être levé, avec des témoignages diffusés sur les réseaux sociaux et dans la presse. «En France, on est au tout début d’un mouvement de prise de conscience de cette dépression et son poids, reconnaît Yoan Tissier. On va dans le bon sens : elle est certes fréquente, mais bien accompagnée, elle se guérit dans la majorité des cas.»