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Libération
Décision

Fin de vie: le Comité d’éthique juge possible une aide active à mourir strictement encadrée

Vincent Lambertdossier
En se prononçant ce mardi, le CCNE relance le débat qui anime la France depuis une trentaine d’années. Emmanuel Macron, qui juge le système actuel «assez imparfait», souhaite lancer une convention citoyenne.
Illustration fin de vie (kazuma seki/Getty Images)
publié le 13 septembre 2022 à 9h39

Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) juge possible une aide active à mourir strictement encadrée. Cela a été annoncé en conférence de presse ce mardi matin dans une décision très attendue, alors qu’Emmanuel Macron a annoncé lundi vouloir «faire changer le cadre légal» avant la fin de l’année 2023. «Il existe une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir, à certaines conditions strictes avec lesquelles il apparaît inacceptable de transiger», a déclaré lors d’une conférence de presse Alain Claeys, l’un des rapporteurs d’un avis rendu mardi par l’institution. Le président de la République a confirmé dans la foulée lancer une consultation sur le sujet.

Ce nouvel avis du CCNE s’inscrit dans un contexte historique ancien. Alain Claeys, l’un des deux rapporteurs du texte publié ce mardi, le reconnaît d’ailleurs avec philosophie : «Cela fait maintenant près de vingt ans que l’on en débat sans discontinuer. Et d’ailleurs, depuis 2002, j’ai voté tous les textes.» Formellement, c’est même un peu plus tôt que la France a commencé à se passionner pour ces débats sur la fin de vie. En 1991, le CCNE est amené à rendre un premier avis. Position claire et ferme, qui désapprouve qu’un «texte législatif ou réglementaire légitime l’acte de donner la mort à un malade». En 1998, petite ouverture. Le comité se déclare «favorable à une discussion publique sereine sur le problème de l’accompagnement des fins de vies comprenant notamment la question de l’euthanasie».

Deux ans plus tard, les sages proposent la notion «d’engagement solidaire et d’exception d’euthanasie». Le président du CCNE de l’époque, le professeur Didier Sicard, évoque «des cas exceptionnels». Ainsi, pour dénouer certains dilemmes tragiques, «la voie la plus humaine est à chercher du côté d’une exception d’euthanasie». La porte s’ouvre un peu plus, mais elle est vite refermée. Lorsqu’en 2002, la loi «droits des malades» (dite loi Kouchner) est votée, la fin de vie n’apparaît pas. Plus tard, Bernard Kouchner fera part de son regret : «J’aurais dû inclure dans la loi un volet fin de vie et euthanasie.» La première bascule intervient en 2005, avec la loi Leonetti «relative aux droits des malades et à la fin de vie», qui permet la rédaction de directives anticipées (sans valeur contraignante), mais aussi la limitation ou l’arrêt de tous types de traitements, y compris l’alimentation et l’hydratation. Votée à l’unanimité, cette loi n’arrête pas les débats. Didier Sicard peut malheureusement continuer de constater et de dire : «On meurt mal en France.»

Constante timidité des pouvoirs publics

Depuis vingt ans, le disque semble rayé. Le débat autour de l’euthanasie ne s’arrête pas, rebondissant à chaque fait divers tragique, comme le drame de Vincent Lambert, infirmier dans un état végétatif depuis un accident survenu en 2008, finalement décédé en 2019. Ou encore celui de Chantal Sébire, qui souffre d’une forme rare de cancer déformant son visage, demande publiquement à mourir, et décède seule dans son appartement en 2008 après s’être autoprescrit un produit vétérinaire létal. Le paysage est figé : d’un côté, une grande et constante timidité des pouvoirs publics, se retranchant derrière la volonté de ne surtout pas brusquer la société ; de l’autre côté, des sondages montrant pourtant qu’une grande majorité des Français se dit favorable à l’euthanasie.

Juin 2013 : la politique des petits pas se poursuit. Saisi par François Hollande, le CCNE émet certes un avis négatif sur la légalisation de l’euthanasie, mais il préconise un grand débat public, à travers l’organisation d’Etats Généraux de la fin de vie. Décembre 2013, les conclusions du panel citoyen sont rendues publiques : elles sont favorables à la légalisation du suicide médicalement assisté, mais s‘opposent en partie à l’euthanasie. Ce panel se dit néanmoins favorable à «une exception d’euthanasie» envisageable dans «des cas particuliers ne pouvant entrer dans le cadre du suicide assisté».

Des clivages fossilisés

Bref, la confusion demeure. Février 2016, rebelote. La loi dite Claeys-Leonetti crée de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie : elle pose le principe selon lequel «toute personne a droit à une fin de vie digne et apaisée», avec en particulier la possibilité d’une «sédation profonde et continue jusqu’au décès». L’avancée est réelle, mais là encore, la loi ne répond pas à toutes les situations, notamment sur l’aide active à mourir. Les clivages persistent, se fossilisent même. Paradoxalement, c’est le monde des soins palliatifs qui se montre le plus réservé à toute évolution.

Il n’empêche, le mouvement est lancé. Au tour des parlementaires de reprendre la balle au bond. Plus jeunes, plus ouverts et plus féminisés, ils soutiennent majoritairement en 2021 une proposition de loi autorisant l’aide médicale à mourir, texte qui sera bloqué par le gouvernement et non inscrit à l’agenda. Même sort pour le texte porté par le député Olivier Falorni. Jusqu’à l’avis de ce mardi, point de départ d’une nouvelle avancée ?