Le scandale sanitaire des eaux minérales prend une tournure politique. Après les nouvelles révélations par le Monde et Radio France sur le lobbying de l’entreprise Nestlé jusqu’au plus haut sommet de l’Etat, le rapporteur de la commission d’enquête parlementaire sur ce sujet a déclaré ce mardi 4 février sur France Info qu’il comptait «auditionner du côté de l’Elysée et de Matignon pour aller au bout de la vérité». L’objectif du sénateur PS de l’Oise Alexandre Ouizille : faire témoigner sous serment Alexis Kohler, le puissant secrétaire général d’Emmanuel Macron. «On se rend compte qu’il y a des services impliqués à tous les étages de l’Etat», a déploré Alexandre Ouizille, avec «assurément des erreurs et des fautes».
Intense lobbying
Les deux médias révèlent ce mardi matin de nombreux échanges entre Nestlé Waters, filiale du groupe suisse propriétaire des marques Vittel et Perrier, et divers ministères : Santé, Economie, Organisation territoriale… Y compris jusqu’à Matignon et l’Elysée. Des révélations démenties par Emmanuel Macron à la mi-journée, lors de sa visite à l’Institut Gustave-Roussy : «Je ne suis pas au courant de ces choses-là. [...] Il n’y a eu ni entente, ni connivence.»
Citant des «échanges de mails et de notes ministérielles», les deux médias accusent Matignon d’avoir dès 2023 «privilégié les intérêts de Nestlé au détriment des consommateurs». Radio France et le Monde font état d’une note du 20 janvier 2023 du directeur général de la santé (DGS), Jérôme Salomon, qui recommande de «suspendre immédiatement l’autorisation d’exploitation et de conditionnement de l’eau pour les sites Nestlé des Vosges» et d’étendre cette interdiction «au site d’embouteillage de Perrier [à Vergèze, dans le Gard, ndlr]».
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En cause, l’utilisation de microfiltres inférieurs à 0,8 micromètre. En effet, elle est inacceptable au regard de la réglementation européenne, en raison de l’impact sur le microbisme de l’eau. Car, en deçà du seuil de 0,8 micromètre, la microfiltration est «assimilable à une désinfection», un procédé formellement interdit pour les eaux minérales naturelles. Et contrairement à ce que prétend le géant suisse, cette technique est également «inefficace vis-à-vis de la rétention de virus».
Pire, le maintien de la microfiltration pourrait constituer une fausse sécurisation et exposer les consommateurs à un risque sanitaire en lien avec l’ingestion de virus. D’autant plus que l’eau en sortie de puits dans les Vosges et le Gard n’était «pas microbiologiquement saine», la nappe souterraine n’ayant «pas été tenue à l’abri de tout risque de pollution». Malgré tout, la multinationale a réussi à convaincre les autorités de lui accorder une dérogation pour continuer d’utiliser ces filtres non conformes pour maintenir la «sécurité alimentaire» de ses eaux minérales.
Cette note, qui aurait été transmise au cabinet de la Première ministre, Elisabeth Borne, recommandait de refuser d’accéder à la demande de Nestlé, au risque d’un contentieux avec Bruxelles, l’UE n’autorisant aucune procédure de dérogation. L’autorisation finalement émise par les plus hauts services de l’Etat serait le fruit d’un actif lobbying exercé par Nestlé depuis 2021, allant jusqu’à une rencontre entre des représentants de la multinationale et Alexis Kohler, secrétaire général de l’Elysée.
Commission d’enquête sénatoriale
En novembre, le Sénat avait entériné la création d’une commission d’enquête «visant à faire la lumière sur les pratiques des industriels de l’eau embouteillée», notamment sur des procédés de filtration interdits de Nestlé. Un premier rapport sénatorial d’octobre 2024 pointait déjà l’«opacité» des pouvoirs publics et des industriels dans ce dossier. Ces faits avaient été révélés dès janvier 2024 par des enquêtes journalistiques du Monde et de Radio France, qui avaient amené le parquet d’Epinal à ouvrir une enquête préliminaire.
Le groupe a accepté en septembre 2024 de payer une amende de 2 millions d’euros pour échapper à un procès, après une plainte de l’association Foodwatch. Le collectif a de nouveau déposé plainte cet automne contre les pratiques de Nestlé et du groupe Sources Alma (Cristaline, Saint-Yorre, Vichy Célestins…). L’association de consommateurs CLCV a aussi porté plainte contre X. «Le gouvernement français aurait cautionné une fraude d’ampleur mondiale. Foodwatch demande qu’un procès établisse les responsabilités et que des sanctions exemplaires tombent», a réagi l’ONG mardi.
Mis à jour à 13 heures avec davantage de contexte puis à 14h10 avec le commentaire d’Emmanuel Macron.