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Interview

Grève des laboratoires de biologie médicale : «C’est la première fois qu’un mouvement est soutenu aussi largement»

Engagés dans un bras de fer avec l’assurance maladie, les syndicats de biologistes médicaux appellent à la grève à partir de ce vendredi 20 septembre en raison de la baisse des tarifs de remboursement des analyses, faisant planer le risque d’une fermeture totale des laboratoires à la fin de l’année.
Dans un laboratoire de l'hôpital Henri-Mondor de Créteil (Val-de-Marne), le 7 décembre 2021. (Thomas Samson/AFP)
par Léa Warrin
publié le 20 septembre 2024 à 7h23

Les patients voulant effectuer un prélèvement seront nombreux à trouver porte close. Sept syndicats de biologistes médicaux ont appelé à une grève reconductible et à la fermeture des laboratoires à partir de ce vendredi 20 septembre, et jusqu’à lundi. En cause : la baisse des tarifs de remboursement des analyses décidée par la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), qui s’ajoute à plusieurs réductions successives, aboutissant à une diminution d’environ 20 % des rémunérations en deux ans, selon les syndicats.

Malgré l’augmentation du nombre d’analyses, l’enveloppe budgétaire annuelle dédiée au remboursement des examens a été revue à la baisse par l’assurance maladie, poussant à réduire les tarifs. Les syndicats, inquiets pour l’avenir des laboratoires, estiment que ces baisses mettent en danger le réseau. La Cnam, de son côté, conteste le chiffre de 10 % de baisse en 2024 avancé par la profession, parlant plutôt d’une réduction de 3,1 % de l’enveloppe prévue, et réfute les accusations de fermeture des laboratoires en décembre. Face à ces divergences, les syndicats, dont fait partie Dr Lionel Barrand, président du syndicat Les biologistes médicaux, demandent une renégociation de l’accord pour éviter une fermeture totale des laboratoires en raison des contraintes budgétaires.

Qu’est-ce qui vous a conduit à décider d’une grève reconductible ?

Nous déplorons une décision unilatérale de l’assurance maladie, visant à baisser les tarifs des actes de biologie médicale de près de 10 % pour 2024. Cette décision a été prise pendant l’été, en l’absence de gouvernement. Elle intervient après deux baisses successives en deux ans, et malgré un accord signé sur la base des propres estimations de l’assurance maladie. Selon ces estimations, le volume des actes de biologie médicale aurait augmenté de 2,5 %. En réalité, ces volumes ont augmenté de 5 à 6 %. Or nous sommes en enveloppe fixe, c’est-à-dire que notre enveloppe annuelle n’augmente pas malgré la hausse du nombre d’actes médicaux. Donc plus le nombre d’analyses augmente, plus on a des baisses de tarifs. Nous n’aurions jamais signé un accord comme celui-ci si nous avions eu les vrais chiffres.

Face à cela on pourrait imaginer un dialogue, puisque l’esprit de ce premier accord était de se partager la croissance des volumes d’examens. La profession était prête à en prendre une partie, l’assurance maladie aussi, mais encore une fois, cette dernière a fait passer en force cette décision. C’est la première fois qu’un mouvement est soutenu par la profession publique et privée, par les collègues hospitaliers et hospitalo-universitaires, c’est historique.

Quelle est votre réponse aux préoccupations concernant l’impact de cette grève sur les patients, notamment ceux ayant besoin d’analyses régulières ou urgentes ?

L’ensemble des professionnels est au courant de ce mouvement et en est solidaire. En ce sens, ils vont s’organiser pour décaler tout ce qui peut l’être. On a augmenté nos effectifs le mardi et mercredi qui suivent ce mouvement pour pouvoir encaisser le nombre de patients pour qui les examens ont été repoussés. Pour les personnes qui auront des urgences et qui ne pourront pas avoir accès à un laboratoire, il faudra appeler le 15 et le régulateur du Samu prendra la main pour décider s’il y a besoin d’une analyse.

Concrètement, comment cette baisse peut affecter le fonctionnement des laboratoires, notamment ceux en zones rurales ?

La baisse de l’offre est la première conséquence pour les patients à court terme. On donne l’image d’une biologie de demain low cost. Or un nombre important de laboratoires est déjà dans le rouge. A court terme, nous ne pourrons pas faire autrement que de baisser l’offre en fermant des laboratoires de proximité, notamment ceux qui gèrent les urgences dans des zones déjà en difficulté. Cela peut aussi mener à la réduction des horaires d’ouverture. Le patient dont le cas peut être urgent devra alors directement aller aux urgences. Là où nous avions un rôle de soupape, la disparition progressive de nos services risque d’engorger les urgences.

Cela risque aussi de détériorer les conditions de travail du personnel et nous empêcher de travailler sur l’innovation et sur la médecine prédictive, puisque nous n’aurons plus le temps ni le budget. En somme, on casse toute une filière du diagnostic en termes de prévention des maladies chroniques aiguës d’urgence biologique.

Vous mentionnez un risque de fermeture totale des laboratoires en décembre. Quels scénarios pourraient mener à une telle situation ?

A la fin de l’année, quand l’enveloppe sera vide, probablement autour de la mi-décembre, les laboratoires ne seront plus remboursés pour les analyses qu’ils font alors même que le personnel est payé, l’électricité aussi… C’est donc une situation de shutdown : on devra fermer prématurément les laboratoires jusqu’au 1er janvier. C’est quelque chose que l’on dit et que l’on répète, mais cela n’a pas l’air de préoccuper l’assurance maladie.

Que demandez-vous concrètement pour résoudre cette crise ?

Nous souhaiterions pouvoir négocier à partir des vrais chiffres. L’idée serait soit de déclencher une clause de sauvegarde, c’est-à-dire une renégociation du contrat parce que le contexte de son exécution a fortement changé, soit de revoir l’accord en se basant sur les chiffres réels. Nous sommes ouverts à la discussion, mais appliquer aveuglément un accord qui est vicié dès l’origine sans utiliser de clause de sauvegarde, ce n’est pas possible. Nous ne demandons pas de financements supplémentaires, on demande juste les vrais chiffres et la sauvegarde de l’ensemble de la filière. Aujourd’hui, on passe de plus en plus de temps à faire de la paperasse plutôt qu’à soigner les gens. Et ça coûte cher.