Menu
Libération
Justice

Harcèlement moral : 50 000 euros d’amende pour l’AP-HP après le suicide d’un cardiologue à l’hôpital

L’Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) a été condamnée ce mercredi 15 novembre à une amende de 50 000 euros pour harcèlement moral à cause du suicide d’un cardiologue le 17 décembre 2015 à l’hôpital Georges-Pompidou.
Devant l'hôpital Georges-Pompidou, à Paris, en janvier 2016. (Martin Colombet/Libération)
publié le 15 novembre 2023 à 17h49

«Cette décision de justice, nous en sommes satisfaits. A travers celle-ci, nous honorons la mémoire de Jean-Louis et mettons un coup d’arrêt au harcèlement en milieu hospitalier.» La voix du radiologue Philippe Halimi est ferme. Comme pour ne pas flancher face à l’émotion «à chaud». Il vient d’apprendre en ce mercredi 15 novembre que l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a été condamnée à une amende de 50 000 euros pour harcèlement moral en raison du suicide en 2015 du cardiologue Jean-Louis Mégnien.

L’ancienne directrice de l’hôpital et un professeur ont été condamnés à huit mois de prison avec sursis et à 10 000 euros d’amende. Deux autres professeurs ont, quant à eux, écopé de quatre mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende pour le premier et 5 000 euros d’amende pour le second. «L’AP-HP ne s’est jamais opposée à ce qui a été mis en œuvre pour isoler le professeur Mégnien», a déclaré la présidente du tribunal lors du délibéré.

Son épouse avait déposé une plainte auprès du parquet de Paris qui avait ouvert une enquête pour harcèlement moral, puis une information judiciaire en février 2016.

Un homme coincé dans un étau

Le 17 décembre 2015, il est près de 16 heures lorsque le professeur Halimi est alerté. Son collègue, mais avant tout son ami, Jean-Louis Mégnien, vient de se jeter du septième étage, depuis son bureau de l’hôpital Georges-Pompidou. Juste avant, le père de cinq enfants aura pris soin d’enfiler sa blouse de médecin. Le cardiologue de 54 ans revenait tout juste d’un arrêt maladie de neuf mois. «Mais qu’ai-je fait pour mériter autant d’actes malfaisants ? Faut-il que je me suicide ?» avait écrit Jean-Louis Mégnien dans un mail, alors qu’il subissait du harcèlement moral de la part de ses collègues et de la direction.

Tous les midis, dans le bistrot à côté de l’hôpital, le cardiologue allait déjeuner avec son ami, le docteur Philippe Halimi. Il était l’une de ses dernières ressources. Pendant le repas, Jean-Louis Mégnien lui exposait alors la situation dans laquelle il était coincé, «les gens dont il avait peur» : «On ne le saluait plus dans le service. On ne l’informait plus de l’organisation du service. On lui supprimait des moyens personnels, administratifs. Tout cela émanait à la fois des collègues et de la direction», se souvient Philippe Halimi, président de l’association Jean-Louis-Mégnien, qui vient en aide aux médecins harcelés. Le docteur Halimi avait averti la direction d’un risque suicidaire, mais cette alerte n’avait pas été prise en compte. Huit ans après, le radiologue se souvient encore de la gentillesse, de l’humour et de la bienveillance du cardiologue.

«Un signe fort envoyé au monde médical»

«Il a été volontairement isolé, poussé à la faute, a souligné la présidente du tribunal, et ces faits de harcèlement ne sont intervenus que par l’action collective de l’AP-HP, la directrice ou par des professeurs.» «Le tribunal a pris l’exacte mesure de la gravité des faits» et précisé «le caractère collectif du harcèlement qui impliquait toute une ligne hiérarchique jusqu’à la personne morale», a réagi Christelle Mazza, avocate de la famille du professeur. «C’est un signe fort envoyé au monde médical et à l’institution hospitalière.»

Une décision en guise d’avertissement, le docteur Halimi y croit également. «La peur change de camp. Dans beaucoup de situations de harcèlement, les harceleurs ont l’impression que rien ne pourra leur arriver. Cette affaire est emblématique. Quelque part, cette décision va peut-être faire réfléchir certains qui se sentaient à l’abri de toute poursuite.»

Du côté des accusés, Maître Stasi, l’avocat de l’AP-HP et Me Marie Burguburu, qui défend Alain S., à l’époque supérieur hiérarchique de Jean-Louis Mégnien, ont annoncé vouloir faire appel de cette décision.