«Quand les premiers cas de Covid sont arrivés en France, je n’ai pas été surpris. Le 1er janvier, la communauté scientifique avait reçu les premières alertes de Wuhan, en Chine. Des alertes, on en reçoit tout le temps. Rien qu’en ce moment, à l’ANRS Maladies infectieuses émergentes, nous suivons cinq épidémies et ce n’est pas toujours facile de faire la part des choses, mais quand il s’agit d’un virus respiratoire, la transmission interhumaine est plus facile et on prend ça très au sérieux. Assez rapidement, la Chine déclare qu’il s’agit d’un coronavirus, tout comme le Sras, qui avait déclenché l’épidémie de 2003. Je connaissais bien ce virus pour avoir soigné des patients au CHU de Lille. A partir de ce moment, je savais qu’il y aurait une transmission d’homme à homme. Ce n’était pas ce qui se disait à l’époque, les autorités chinoises étaient rassurantes. Je m’attendais à ce que des personnes qui avaient voyagé en Chine se déclarent en France. Mais je sous-estimais la proportion que l’épidémie y prendrait.
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«Le 24 janvier, les premiers malades du Covid sont pris en charge à Bichat. A l’arrivée, ils sont testés dans le secteur d’isolement et, en cas de test positif, hospitalisés en isolement pour éviter la contamination. Le cas du touriste chinois de 80 ans qui décéda trois semaines plus tard était particulièrement grave. Il a fallu le prendre en charge en réanimation. On lui a administré un traitement symptomatique et un traitement antiviral (remdésivir), dont on connaît maintenant l’efficacité, mais ça n’a pas suffi. Son décès a été très difficile à vivre. Toute l’équipe avait fait tout son possible pour le sauver. C’était le premier mort de cette maladie en France et cela a marqué un tournant. On ressentait l’impuissance et la tristesse de le voir décéder dans l’isolement. Sa fille était hospitalisée dans le même hôpital, mais elle n’a pas pu être près de lui. C’est très dur de mourir dans de telles conditions. Cela a été un grand problème de cette pandémie.
«A l’époque, ce qu’on n’a pas du tout compris – et ça a été notre plus grande erreur –, c’est que la maladie ne se transmettait pas seulement au moment où la personne infectée était symptomatique, mais à partir de deux à trois jours avant. C’est une différence majeure avec le virus du Sras et cela change complètement le potentiel de propagation de l’épidémie.
«Mon équipe et moi, on a commencé à mettre en doute les modalités de transmissions à la mi-février, au moment où on a analysé les prélèvements des patients hospitalisés. La charge virale de la fille du patient chinois était très haute dès les premiers jours des symptômes, ce qui n’est pas normal. Cela voulait dire qu’il y avait probablement excrétion du virus avant, capable de contagion. Une première étude, publiée dans le New England Journal of Medicine en fin février, a confirmé cette hypothèse. Elle mentionnait un touriste chinois venu en Allemagne qui n’avait pas de symptômes, mais qui avait pourtant transmis la maladie à trois personnes. On a eu la certitude de la transmission du virus même en l’absence de symptômes au mois de mars seulement : c’est là qu’on a eu une vraie prise de conscience de l’ampleur potentielle de l’épidémie. Le comprendre plus tôt aurait probablement changé des choses.»