En 2018, l’enquête dite des «Implant Files» révélait les lacunes du contrôle des implants médicaux en Europe, évoquant des incidents de plus en plus nombreux mais difficiles à quantifier précisément et à identifier. Depuis, des dizaines de femmes ont notamment porté plainte en France pour «tromperie» et «blessures involontaires» après la pose d’un implant vaginal pour traiter leur incontinence.
Une cinquantaine d’entre elles ont raconté leur calvaire quotidien la semaine dernière dans le Parisien. «Je suis passée de femme active, sportive, mariée, à une personne invalide, divorcée, qui souffre nuit et jour», expliquait ainsi Florence, 60 ans. Ces implants font l’objet d’un suivi scientifique depuis 2017, dans le cadre du registre appelé Vigimesh, piloté par le chirurgien gynécologue au CHU de Poitiers Xavier Fritel. Il revient pour Libération sur le dispositif mis en cause, ces bandelettes sous-urétrales posées par voie vaginale pour soutenir l’urètre et ainsi lutter contre l’incontinence.
Vous êtes responsable de l’étude Vigimesh qui fait le suivi de ces poses d’implants. Quels sont vos résultats ?
Vigimesh a suivi 12 000 femmes ayant subi une chirurgie de l’incontinence urinaire ou du prolapsus entre 2017 et 2023, avec ou sans pose de prothèse. Les résultats deux ans après la pose de 3 000 bandelettes urinaires sont les suivants : on déplore 3 % d’échec, dans lesquels la pose du dispositif ne résout pas le problème. On observe aussi 5 % de complications. On a donc décidé de se pencher sur les cas de complications avec une étude rétrospective. La moitié des patientes voient leur état s’améliorer après une deuxième opération, mais 20 % restent en mauvaise santé avec un handicap qu’elles attribuent aux complications. Mais nous n’avons pas encore de données extrapolables pour dire combien de femmes pourraient être concernées par an à l’échelle du territoire.
De quelles complications parlons-nous ?
Les complications sont en général de trois types. On peut avoir des difficultés à uriner, quand le dispositif est trop serré. On peut avoir ce qu’on appelle une exposition du dispositif dans le vagin – et plus rarement dans la vessie ou le conduit urinaire. Cela signifie que la bandelette apparaît dans ces organes. Ces deux complications sont gérables en coupant la partie de la bandelette posée sous le conduit urinaire ou en retirant la partie exposée, ce qui nécessite une nouvelle opération. Le troisième risque, le plus grave, ce sont les douleurs chroniques.
Etes-vous surpris par l’ampleur et la dureté des témoignages de celles qui souffrent de ces implants ?
Je ne suis pas surpris du tout, ce qu’elles disent est vrai. Il revient maintenant aux chirurgiens d’améliorer leur travail, de comprendre quels sont les risques et comment y remédier. L’une des difficultés soulevées par ces patientes est la question des douleurs chroniques chez les femmes, un sujet qui n’était pas enseigné il y a encore quelques années. Nous avons des patientes qui continuent de souffrir après qu’on a retiré la bandelette urinaire. C’est une vraie question, et je comprends que ces situations puissent conduire à des plaintes.
Est-ce que vous avez identifié des profils de patientes plus à risque de complications ?
Le seul facteur identifié pour le moment est l’existence de douleurs préexistantes avant l’opération.
Certaines femmes disent qu’elles n’ont pas été averties des risques de complications ou du caractère irréversible de l’opération. Comment est-ce possible ?
Cette technique, désormais, est réversible. C’est même son avantage par rapport aux autres. Mais il a fallu apprendre à enlever les bandelettes, ce n’est pas toujours simple. On a posé les premières en 1998 et je crois avoir appris à les retirer en 2003. On a appris au fur et à mesure de la généralisation de cette technique et la transmission des informations aux patientes a évolué avec nos connaissances. Avec le registre Vigimesh, il devient plus facile de donner des conseils.
Est-il possible que certains modèles de bandelettes soient plus problématiques que d’autres ?
Probablement. Nous avons prévu d’analyser cette question dans le cadre de Vigimesh. Il se pourrait également que les facteurs de risque diffèrent selon les trois grands types de complication que j’ai cités, donc c’est à suivre. D’où l’intérêt de continuer le suivi et de trouver un financement. De 2017 à 2022, notre financement a été assuré par l’ANSM [Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, ndlr]. Depuis, nous sommes à la recherche de nouveaux financements pour continuer à suivre les femmes.
Vu les complications et les douleurs, ne vaudrait-il pas mieux abandonner cette technique ?
Je ne crois pas, non. Je me souviens, quand cette technique est apparue dans mon service, elle a été immédiatement adoptée. Elle résolvait beaucoup de cas qu’on n’arrivait pas à traiter avec les techniques existantes. Dorénavant, on peut améliorer la majorité des complications avec une deuxième opération. Il faut continuer à rendre service aux patientes. Mais il faut aussi comprendre celles pour lesquelles cela ne fonctionne pas. Il reste aussi possible qu’une nouvelle technique soit développée avec de meilleurs résultats.