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Libération
Décryptage

Intoxications alimentaires dans l’Aisne : E. coli, une bactérie au potentiel meurtrier

A l’origine d’une vague d’intoxications alimentaires et d’un décès, la variété ECEH est plus rarement mise en cause que la salmonellose et la listériose, mais elle peut provoquer des cas très graves, notamment chez l’enfant.
Les cas d'intoxications alimentaires sévères d'enfants dans l'Aisne, parmi lesquels une jeune fille de 12 ans qui est décédée, sont dus à la bactérie Escherichia coli, a annoncé dimanche 22 juin le ministre de la Santé, Yannick Neuder. (Steve Gschmeissner/Science Photo Library. AFP)
publié le 23 juin 2025 à 11h18

Elle faisait partie des microbes attentivement scrutés pour mesurer la qualité de l’eau de la Seine lors des JO. Elle s’était aussi retrouvée, en 2022, au cœur du scandale de pizzas de la maque Buitoni suspectées d’avoir causé la mort de deux enfants. Escherichia coli, dite E. coli, est à nouveau pointée : elle est responsable d’une vague d’intoxications alimentaire dans l’Aisne, comme l’a confirmé le ministre de la Santé, Yannick Neuder, dimanche. En tout, ce sont 18 enfants qui ont été intoxiqués depuis le 12 juin. Une fillette de 12 ans est morte, huit autres sont encore hospitalisés à Lille, Saint-Quentin, Reims et Amiens.

Si parmi les infections alimentaires, la salmonellose et la listériose sont nettement plus courantes – la première est à l’origine de plusieurs centaines de morts chaque année en France –, E. coli peut aussi régulièrement s’avérer mortelle. Libé fait le point.

Qu’est-ce que cette bactérie ?

Escherichia coli n’est pas une bactérie isolée : le nom désigne en réalité toute une famille, dont toutes les variétés qui la composent ne sont pas dangereuses pour la santé. Elles sont naturellement présentes en grand nombre dans l’appareil digestif ; une partie d’entre elles contribuent même au bon fonctionnement de l’organisme. Mais d’autres variétés peuvent provoquer des intoxications, car elles produisent des toxines induisant des lésions sur les cellules de vaisseaux sanguins des intestins et des reins.

Dans la majorité des cas, ces infections ne seront pas graves : elles entraîneront surtout maux de ventre et diarrhées, généralement trois ou quatre jours après l’ingestion. Elles passent généralement en une dizaine de jours, et sans dommages.

D’où vient-elle ?

Les variétés les plus dangereuses E. coli, les E. coli entérohémorragiques (ECEH) «se transmettent à l’homme principalement par des aliments contaminés, comme de la viande hachée crue ou mal cuite et du lait cru», explique l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Un nombre croissant de flambées sont aussi associées «à la consommation de fruits et de légumes – graines germées, épinards, laitues, chou cru, salades.» La température est un élément crucial. La bactérie est détruite à 70 °C. Ce qui implique de veiller à bien cuire les aliments.

Dans l’Aisne, la cause de la contamination n’est pas encore connue avec certitude, mais il s’agirait «probablement d’une infection alimentaire sur de la viande», a indiqué dimanche soir le ministre de la Santé : «Les analyses sont en cours pour avoir effectivement le lien formel». Ces derniers jours, les autorités ont fermé préventivement quatre boucheries ainsi que les rayons boucherie de deux supermarchés dans l’agglomération de Saint-Quentin, et effectué des prélèvements dans tous ces commerces.

Après «une première série d’analyses» qui a permis de déterminer que les contaminations étaient dues à E. coli, «un deuxième type d’analyses» doit être effectué la semaine prochaine à l’Institut Pasteur «pour pouvoir poursuivre les investigations et créer le lien de causalité.»

Quelle dangerosité ?

Des complications graves surviennent dans de rares cas, avant tout chez les jeunes enfants et les personnes âgées. En France, 160 infections sévères sont dénombrées chaque année.

Le «syndrome hémolytique et urémique» (SHU) est la plus courante de ces complications – la fillette de 12 ans morte lundi dernier en était atteinte, tout comme six des huit enfants encore hospitalisés. Le SHU se traduit généralement par une insuffisance rénale aiguë et de graves problèmes sanguins.

«On estime que, pour jusqu’à 10 % des patients, l’infection à E. coli […] peut évoluer en SHU, avec un taux de létalité de 3 à 5 , résume l’OMS. En France, «le taux de mortalité est inférieur à 1 % d’après les données de surveillance», précise Santé publique France sur son site. Au niveau de toute l’Europe, la pire flambée d’infections à E. coli remonte à 2011 (due à des graines germées issues d’une ferme biologique allemande), qui avait causé la mort d’une cinquantaine de personnes.

Ces infections sont aussi d’ailleurs particulièrement difficiles à traiter : il n’existe pas encore de traitement spécifique. Deux anticorps de synthèse, l’éculizumab et le ravulizumab, sont à l’essai et constituent des pistes prometteuses. Pour l’heure, les formes sévères peuvent nécessiter un traitement par dialyse ou par transfusion sanguine.

Comment éviter l’infection ?

Du côté des producteurs, l’Institut Pasteur rappelle l’existence de tests pour déterminer si un animal est porteur de la bactérie – la viande peut ensuite subir un traitement bactéricide. En revanche, il reconnaît que «ces techniques, bien qu’étant efficaces, ne garantissent pas systématiquement l’absence d’ECEH dans les aliments.» Il recommande donc surtout l’application de pratiques d’hygiène stricte, des producteurs aux consommateurs.

Pour ces derniers (et les cuisiniers), l’institut scientifique recommande par exemple de «cuire à cœur la viande hachée de bœuf, en particulier chez les enfants de moins de 5 ans», d’éviter faire manger des fromages au lait cru pour les jeunes enfants, de «laver les fruits, légumes, herbes aromatiques», de se laver les mains, de vérifier l’hygiène du matériel de cuisine, «notamment lorsqu’il a été en contact avec de la viande crue», de «séparer les aliments cuits des aliments crus», ou encore d’éviter le contact de très jeunes enfants (moins de 5 ans) avec les animaux de ferme et leur environnement.