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«Je jette des boîtes» : un pharmacien exaspéré dénonce le gaspillage des médicaments dans un clip

Julien Sfair, pharmacien à temps partiel à Angers et musicien, dénonce dans une chanson décapante les milliers de comprimés et sirops inutilisés rapportés par des patients et qu’il est contraint de jeter à la poubelle. Alors que d’autres en auraient tellement besoin.
Le pharmacien de la gare d'Angers se plaint de jeter des boîtes de médicaments en se déhanchant sur un son pop électro. (Godong/BSIP. AFP)
publié le 29 mai 2024 à 18h51

«Encore un sac plein, un sac qu’on me ramène. C’est le vingtième sac en même pas une semaine. Il y en a des millions pour qui cela pourrait changer la vie» Ou comment dénoncer le gaspillage de tonnes de boîtes de médicaments jetées chaque année, en se déhanchant sur un son pop électro. La «révolte contre le gâchis» de Julien Sfair, pharmacien de 35 ans et musicien, a rencontré son succès : depuis sa publication en février, son clip cumule plus de 80 000 vues sur internet.

«Mon exaspération ne vient pas vraiment du fait qu’on ne puisse pas recycler. Elle vient du fait qu’on gaspille», souligne le jeune apothicaire, employé à temps partiel dans la pharmacie de la gare d’Angers. Il cite par exemple ce patient qui, la veille de l’écriture du clip, lui a rapporté «une dizaine de boîtes d’insuline qui n’ont jamais été ouvertes». Il n’a eu d’autre choix que de jeter les boîtes, 80 euros l’unité, dans un réceptacle dédié : les officines sont chargées de collecter les médicaments périmés ou non utilisés par les patients, puis les détruire. Et ce dans un contexte de tensions chroniques d’approvisionnement - y compris d’insuline, dont le manque de disponibilité a encore été dénoncé début avril par l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament.

«Des sirops par milliers»

Et comme le ressasse le refrain de sa vidéo pamphlet, il continue de le faire régulièrement, à contrecœur : «Je jette des boîtes, je jette des boîtes, je jette, jette, jette, jette, jette des boîtes». Beaucoup d’antidouleurs, «des sirops par milliers et plein de comprimés» ; «les autres n’ont qu’à crever», lance-t-il. Le jeune apothicaire, dont une partie de la famille vit au Liban a bien tenté de collecter des médicaments pour les envoyer là-bas. Il s’est «heurté à la loi» : la redistribution humanitaire des médicaments non utilisés est interdite depuis fin 2008.

C’est donc passablement lassé et un brin exaspéré que l’artiste en blouse blanche s’est décidé à tourner son clip un dimanche, dans la pharmacie vendéenne de son oncle. Les préparatrices jouent les figurantes, des étudiants en pharmacie dansent. Il faut dire que le musicien, qui a remporté un concours de France Bleu en 2014, n’en est pas à son premier projet musical. Il a sorti plusieurs chansons engagées, comme «Parasite» centrée cette fois sur les sans-abris. Il travaille sur un prochain titre dédié à la place des femmes dans le monde.

Au-delà de passer ses nerfs en musique, son objectif est surtout de «responsabiliser». «C’est un super système qu’on a en France. Il faut le préserver et on se doit tous d’être responsables, patients, médecins et pharmaciens, insiste-t-il. Cela peut être intéressant que les patients se rendent compte du coût de l’ordonnance, pour éviter potentiellement le gaspillage.» Il n’est pas le seul à s’être récemment emparé du sujet : en avril, le syndicat Convergence Infirmière avait lancé une vaste opération sur la même problématique et chiffré les pertes à 123 millions d’euros chaque mois.