Alors que le 1er novembre a lancé le début du mois sans tabac, le 28 novembre sera l’occasion de fêter le premier anniversaire de l’annonce du Programme national de lutte contre le tabac 2023-2027 (PNLT). Présenté à l’époque par l’éphémère ministre de la Santé et de la Prévention Aurélien Rousseau, ce plan avait pour objectif de faire passer la vitesse supérieure à la lutte contre le tabagisme et promettait des mesures fortes comme le renforcement du contrôle de l’interdiction de vente des produits du tabac et du vapotage pour les mineurs, le paquet de cigarettes augmenté à 13 euros en 2027 ou encore la multiplication d’espaces extérieurs libérés du tabac. Des actions qui devraient permettre d’accomplir l’objectif affiché depuis 2014, une première génération sans tabac dès 2032.
Si les mesures annoncées conviennent aux organismes liés à la lutte contre le tabac, leur exécution fait parfois grincer des dents. En avril 2024, la Fédération Addiction tire la sonnette d’alarme en publiant un article titré : «Vers la première génération sans tabac ? Oui, mais pas sans prendre en compte les inégalités sociales.» Sept mois plus tard, les inquiétudes restent entières. «Dans l’ensemble, les mesures proposées par le PNLT sont très bonnes. Des réglementations se mettent en place et la situation va dans le bon sens, l’objectif d’une première génération sans tabac dès 2032 semble réalisable, concède David Saint Vincent, membre du bureau de Fédération Addiction. Mais il faut relativiser ces progrès, car dans les catégories sociales les plus précaires, le taux de tabagisme stagne voire augmente légèrement. Attention à ce qu’ils ne soient pas les oubliés de ce projet.»
L’augmentation du prix divise
Chez les précaires, les grands oubliés sont surtout les adultes déjà dépendants au tabac, qui semblent peu pris en compte par les mesures du PNLT. Et l’augmentation du prix du paquet est l’exemple parfait pour illustrer ce phénomène. «C’est une mesure intéressante et qui marche pour repousser les jeunes, mais pour les adultes déjà fumeurs, qui sont dans un environnement pro-tabagique, ça ne fonctionne pas, explique David Saint Vincent. Et si ces personnes sont déjà en difficulté financière, elles risquent juste de dépenser encore plus d’argent.»
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Un constat que ne partage pas Catherine Simonin, administratrice de la Ligue nationale contre le cancer, qui fait partie du comité de coordination du PNLT : «On voit bien que le tabac est encore répandu chez les populations les plus défavorisées. Quand il est trop cher, les personnes arrêtent et prennent rendez-vous chez le tabacologue. Augmenter le prix, ce n’est pas les punir, mais les aider, car si leur santé se dégrade, les soins seront encore plus chers.»
«De l’éducation à la santé à tous les niveaux»
En revanche, les deux spécialistes se rejoignent sur un point, des manquements ont lieu dans la sensibilisation, que ce soit sur les conséquences du tabagisme pour la santé ou sur les solutions qui existent pour se sevrer – comme le remboursement des substituts nicotiniques (patches, comprimés…) et des rendez-vous chez le tabacologue. «Il faut faire de l’éducation à la santé à tous les niveaux, pas seulement chez les jeunes. Si on arrête de fumer, il n’est jamais trop tard pour en sentir les bénéfices», appuie l’administratrice de la Ligue nationale contre le cancer. Et du côté de la Direction générale de la Santé (DGS), membre du Comité de pilotage du PNLT, on abonde dans le même sens : «Le PNLT 2023-2027 a pour objectif de poursuivre et d’intensifier les campagnes de prévention visant à l’arrêt du tabac.»
David Saint Vincent va plus loin dans sa critique et pointe une communication qui ne prend pas en compte les catégories sociales les plus défavorisées et contribue à creuser des inégalités. «Les messages passés ne sont pas adaptés à tout le monde. Il faut faire plus d’efforts pour rendre l’arrêt du tabac plus attractif, en oubliant les codes du bobo parisien et faire en sorte de toucher des populations qui, jusque-là, ne se sentaient pas concernées par les campagnes de prévention et de sensibilisation.» Un paramètre que la DGS semble avoir pris en compte puisqu’elle annonce prévoir «d’évaluer les actions et faire évoluer les procédés de communication en adaptant certains messages en fonction des profils de populations cibles et de leur degré d’information afin d’en améliorer l’efficacité».
«Cercle vicieux»
Si certains acteurs comme Fédération Addiction s’inquiètent de mesures qui pourraient laisser les plus précaires de côté, la DGS rappelle que «les publics les plus précaires disposent également d’actions spécifiques qui seront déployées dans le cadre du PLNT 2023-2027, par exemple l’inclusion de la question du sevrage du tabac dans toutes les démarches “d’aller vers” vis-à-vis de ces publics, ainsi que la promotion d’actions de prévention du tabagisme avec les associations caritatives et les institutions d’accompagnement au retour à l’emploi et de la reconversion».
Tout l’enjeu est maintenant de passer à l’action le plus rapidement possible car, si les inégalités continuent de se creuser, l’objectif d’une première génération sans tabac dès 2032 pourrait avoir du plomb dans l’aile. «C’est un cercle vicieux. Si les fumeurs précaires sont oubliés, ils vont transmettre leurs mauvaises habitudes aux plus jeunes qu’ils fréquentent et tous les bénéfices engrangés seront perdus», conclut David Saint Vincent.