De quoi meurt-on en France ? La question revient chaque année à l’occasion de la parution des travaux de chercheurs de Santé publique France, de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (la Drees, le bureau des statistiques du ministère de la Santé). Ce sont des éléments de réponse pour 2023 qu’ils publient dans deux études, mardi 8 juillet. Cette année-là, quelque 637 000 morts ont été enregistrés. Libé fait le point sur les tendances à retenir.
La mortalité au plus bas
L’année 2022 avait été marquée par une surmortalité importante. C’est un mouvement inverse qui a été observé en 2023 : la mortalité baisse. Dans toutes les régions et pour toutes les classes d’âges. «Il y a eu 36 000 décès de moins en 2023 par rapport à l’année précédente, ce qui est vraiment beaucoup», souligne Elise Coudin, directrice du centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès de l’Inserm. Les personnes sont mortes à 79,3 ans en moyenne – 46 % des décès concernaient des individus d’au moins 85 ans.
Cette tendance devrait même se poursuivre en 2024. «Les données sont encore provisoires, mais elles nous permettent déjà de dire que la mortalité sera plus basse.» Et elle se retrouve globalement chez nos pays voisins. En 2023, «d’après Eurostat, l’espérance de vie en Europe est la plus haute jamais atteinte», de 81 ans et demi, soit quasiment un an de plus par rapport à 2022, abonde la chercheuse.
L’explication se trouve du côté du Covid et de la diminution du nombre de morts qu’il a engendré. En France, «elle représente 60 % de la baisse du taux de mortalité», poursuit Elise Coudin. Un peu plus de 14 000 personnes en sont mortes en 2023, contre près de 41 300 en 2022.
Par contre, «même si la mortalité est très basse, elle reste plus élevée que ce que suggère la prolongation des tendances prépandémiques», relève la scientifique. En tenant compte des données de la période 2015-2019, le taux de mortalité observé en 2023 aurait pu être celui de 2020... si le Covid n’était pas venu perturber la santé du monde entier.
Le Covid, neuvième cause de décès
C’est donc l’un des principaux éléments à retenir, prévisible au vu des retours de terrain : la part des morts dues au Covid continue de décroître. Il est passé de la cinquième cause de décès en 2022 (troisième en 2021) à la neuvième. «La mortalité a suivi la diminution de la circulation de l’épidémie, qui a été associée à une immunisation de la population – notamment grâce à la vaccination», souligne Anne Fouillet, de Santé publique France. Balayer son potentiel meurtrier est une limite à ne pas franchir toutefois. «Il a encore causé 14 000 décès en 2023, majoritairement des personnes âgées», analyse l’épidémiologiste. 63 % des morts avaient 85 ans et plus.
Les cancers toujours très meurtriers
La première cause de mortalité n’a pas changé. Il s’agit du cancer, à l’origine de 27 % des décès en 2023. Près d’un quart était dû à des tumeurs des poumons, des bronches et de la trachée. Les chercheurs ont observé une hausse chez les femmes, et une diminution chez les hommes plus faible qu’attendue. Viennent ensuite les tumeurs colorectales (9 % des décès par tumeur).
Les personnes qui en sont mortes étaient en moyenne plus jeunes que la moyenne toutes causes confondues : plus de la moitié avaient entre 65 et 84 ans. Chez les enfants de 1 à 14 ans, le cancer était la deuxième cause de mortalité, quoique bien loin derrière la première (les «causes externes», 30 % des décès de la tranche d’âge, dont les trois quarts correspondent à des accidents).
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Note positive : la mortalité due aux cancers baisse, comme c’était déjà le cas en 2022 – à l’exception de certaines tumeurs du pancréas. Résultats probables des progrès faits en oncologie. «Il faut aussi penser à la prévention, les campagnes de dépistage précoces par exemple. On ne peut pas non plus exclure que des changements de comportements – comme la consommation d’alcool et de tabac – puissent jouer un rôle dans ce recul», ajoute Elise Coudin.
Après les cancers, les maladies «de l’appareil circulatoire» (soit principalement des problèmes cardiaques et AVC) sont la deuxième cause de mortalité, en «légère baisse». Suivies des pathologies respiratoires (grippe, pneumonie…), pour leur part «en légère hausse».
Certaines tendances perturbées depuis la pandémie
Au-delà des morts directs, le Covid influence-t-il les autres causes de mortalité ? «Il est toujours compliqué d’attribuer directement ou indirectement l’impact sur une cause, mais ce qui est sûr, c’est que certaines tendances sont encore en rupture par rapport à ce qui se dessinait avant la pandémie», répond l’épidémiologiste Anne Fouillet. C’est le cas pour certaines maladies hormonales, nutritionnelles ou métaboliques – comme le diabète sucré –, les pathologies génito-urinaires (du rein par exemple) et digestives.
Comment l’expliquer ? La réponse est complexe et les pistes d’hypothèses nombreuses. «Les causes sont multidimensionnelles, parmi lesquelles on peut citer des retards de prise en charge, des changements dans les habitudes de consommation et de vie, des effets socio-économiques…» égrène l’épidémiologiste. La question est de savoir s’il s’agit d’impacts «ponctuels, qui mettent du temps à se résorber», ou des évolutions qui vont se poursuivre durablement.
Des disparités régionales notables
Sans grande surprise, les disparités de santé, économiques et sociales observées habituellement entre l’Hexagone et les départements d’outre-mer se retrouvent dans la mortalité – elles sont même plus élevées qu’attendues, notent les scientifiques. Le nombre de décès est par exemple 89 % plus élevé à Mayotte, 37 % en Guyane. Ces différences varient selon les maladies. Elles sont plus marquées pour les maladies cardio-neurovasculaires (AVC, infarctus et autres pathologies cardiaques ou des vaisseaux sanguins) que pour les cancers.
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Des écarts importants se retrouvent aussi au sein de la France métropolitaine. On meurt plus dans les régions du Nord et de l’Est que celles du Sud. «Dans les Hauts-de-France, la mortalité est 17 % plus importante par rapport à la moyenne nationale, note Vianney Costemalle, de la Drees. A l’inverse, l’Ile-de-France est la région avec la mortalité la plus faible.» Tout comme elle est plus importante dans les campagnes isolées que dans les grandes villes. La différence est particulièrement marquée lorsqu’il s’agit des morts de maladies cardio-vasculaires.
«Beaucoup de choses peuvent l’expliquer. On sait que la santé de la population est différente sur le territoire. Il y a des facteurs liés au mode de vie (la consommation de tabac, d’alcool), l’exposition à la pollution, les inégalités socio-économiques, l’accès aux soins…» Là encore, les scientifiques restent prudents sur les explications. L’objectif de leur travail est moins d’expliquer la mortalité que de décortiquer avec précision les données à leur disposition pour dresser un panorama. Et alimenter ou initier d’autres recherches visant à les interpréter.