Je me suis installé en tant que généraliste en 1984, au début des années sida. La population était inquiète, on ne connaissait pas parfaitement les modes de contamination, et évidemment on n’avait pas de traitement à proposer. Le virus ne serait séquencé qu’en 1985, et le premier traitement, l’AZT, ne serait disponible qu’en 1987. Pendant ces années de flou, le corps médical se divisa. On savait qu’il s’agissait d’une maladie à transmission sexuelle, on ne connaissait pas les «pratiques à risque», il fallait pourtant essayer de conseiller les patients, promouvoir les mesures-barrière. Une partie des confrères de l’époque considérait qu’on en faisait trop avec cette pathologie. Même si tous ne l’énonçaient pas clairement, pour nombre d’entre eux il s’agissait d’une maladie concernant essentiellement les homosexuels, les drogués, et les Haïtiens, et donc pas les gens «normaux» qu’ils rencontraient au quotidien (ah la puissance du déni).
Analyse
Lorsque quelques années plus tard avec des médecins de mon âge nous décidâmes de créer un des premiers réseaux ville-hôpital consacrés au sida, nos aînés nous conseillèrent d’aller quémander l’onction d’un des notables de la ville, caricature délicatement couperosée du médecin des films de Chabrol et Boisset. Nous nous rendîmes donc à une soirée de formation médicale