Plusieurs dizaines de milliers de personnes mortes du fait des fortes températures en France depuis 2014. La chaleur estivale, dès qu’elle dépasse 30 degrés et pas forcément en période dite de canicule, est désormais l’un des premiers facteurs de mortalité pendant cette saison, révèle une étude publiée ce vendredi 23 juin. Pour la première fois, des chercheurs de Santé publique France ont quantifié le poids de la chaleur sur la mortalité de la population française pendant l’été. Ainsi, entre 2014 et 2022, près de 33 000 personnes – 32 658 exactement – sont mortes à cause de leur exposition à de fortes températures. Les données fluctuent entre les étés, selon les conditions météorologiques, mais le constat est là.
«La chaleur est l’un des risques environnementaux climatiques les plus préoccupants, son amplification se ressent à notre échelle», souligne Sébastien Denys, directeur Santé environnement et travail à Santé publique France. Pour mesurer son impact précis sur la santé humaine, les chercheurs ont scruté les données relatives à la mortalité et les températures journalières dans chaque département français, entre le 1er juin et le 15 septembre de chaque année étudiée. «Jusqu’à aujourd’hui, on regardait l’excès de décès pendant toute la période de canicule, et on supposait qu’il était en grande partie attribuable à la chaleur, ajoute Guillaume Boulanger, de la même unité au sein de l’agence. Mais ça pouvait aussi être lié à la diffusion de l’épidémie de Covid, ou, en Gironde, l’exposition de la population aux feux de forêts [et la pollution de l’air qu’ils ont occasionnée]».
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L’été dernier a été le plus meurtrier. Les températures des mois estivaux de 2022, ponctués par trois canicules, ont engendré près de 7 000 morts. Soit plus des deux tiers de la surmortalité constatée par l’agence de santé publique (un excès de plus 10 000 décès). En 2020, 2 019 et 2018, l’emballement du thermomètre a causé plus de 4 000 morts. «Plus les températures deviennent extrêmes, plus le risque de mortalité s’envole et devient exponentiel», commente le chercheur. Selon leurs résultats, le risque augmente dès que le mercure dépasse un peu plus de 30 degrés. Et s’accroît même «de 40 %» pour les températures les plus extrêmes.
Aussi, un quart des morts a été observé pendant les canicules – périodes d’au mois trois jours durant lesquels les moyennes de températures maximales et minimales sont supérieures aux seuils d’alertes définis par département. Alors que ces épisodes ne représentent que 6 % des jours étudiés. Mais les chercheurs insistent : la vigilance doit se maintenir tout au long de la période estivale, amenée à devenir de plus en plus chaude, marquée par des canicules précoces et étendues. D’autant que le dérèglement climatique amplifie aussi d’autres risques sanitaires estivaux, comme les feux de forêts, la pollution de l’air ou les arboviroses – maladies virales comme la dengue ou le chikungunya.
Un tiers des décès chez les moins de 75 ans
L’ensemble de la population est aussi concerné par les risques liés à la chaleur : les plus âgés sont certes les premières victimes de la chaleur, mais pas les seules. Un tiers des morts a ainsi été observé chez les moins de 75 ans. L’enjeu de l’agence publique est donc, aussi, de travailler à mieux sensibiliser ces catégories d’âges qui s’estiment le plus souvent loin du risque mortel lié aux fortes chaleurs. «La canicule est perçue comme un inconfort ou désagrément, regrette Sandrine Randriamampianina, de la Direction de la prévention de Santé publique France. Parler de réduire un risque pour lequel on ne se sent pas concerné n’a pas d’effet.»
Les chercheurs chargés d’adapter les mesures de prévention ont décidé de cibler cette année deux catégories supplémentaires de population, particulièrement exposées à la chaleur, qui l’ignorent le plus souvent : les personnes résidant dans un logement très exposé aux fortes températures et celles pratiquant une activité physique. Et ils tâchent de leur apporter des solutions applicables au quotidien. Comme installer des plantes devant sa fenêtre pour créer de l’ombre, un ventilateur face à un linge humide pour augmenter la sensation de fraîcheur. Ou faire son jogging très tôt le matin, vérifier la couleur de ses urines qui, trop foncées, indiquent une hydratation insuffisante.
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Derrière ces messages préventifs se dessine un changement de logique : il ne s’agit plus seulement de réagir ponctuellement dans l’urgence. Le dérèglement climatique impose une adaptation des pratiques sur le long terme. Et elle concerne autant les comportements individuels que les politiques publiques. «Il ne faut pas attendre les résultats épidémiologiques pour pouvoir agir sur nos environnements, pour les adapter et prévenir les risques futurs. répète Sébastien Denys. Le changement climatique induit probablement plus de vagues de chaleur […] plus étendues sur le territoire et dans le temps». L’injonction vaut pour le monde entier : les scientifiques du Giec estiment que le dérèglement climatique «pourrait entraîner plus de 250 000 décès par an d’ici à 2050». Et la chaleur figure parmi les premiers responsables.