L’hôpital français est à bout de souffle. En première ligne, ses unités spécialisées, comme celles de psychiatrie. Ce mardi matin, 75 soignants lancent, dans le Parisien, un appel à la nouvelle Première ministre, Elisabeth Borne, pour demander plus de moyens, intitulé «Créons des postes pour éviter le naufrage». Si rien n’est fait, si de nouveaux effectifs ne sont pas recrutés, si les budgets ne sont pas grossis, un «avenir très sombre nous attend», affirme la tribune.
Depuis le début de la crise sanitaire, les besoins psychiatriques – surtout chez les jeunes – ont largement cru. Une enquête, publiée par The Lancet, début octobre 2021, montrait que les cas de troubles dépressifs majeurs et anxieux ont augmenté respectivement de 28 % et 26 % dans le monde en 2020. Mais l’offre de soins n’est guère suffisante. Les infirmiers et infirmières manquent à l’appel – 1 400 font défaut au sein de l’AP-HP, déplorait la veille son directeur général, Martin Hirsch – , des lits se ferment en cascade – 15 % dans les hôpitaux franciliens de l’AP-HP, toujours selon Martin Hirsch.
Triste engrenage
Si l’«engorgement» n’est pas nouveau, «il s’aggrave d’année en année, en psychiatrie d’adultes comme en pédopsychiatrie», écrivent les auteurs de la tribune. D’autant plus depuis la pandémie. Conséquences : l’attente des patients se fait plus longue sur les brancards ou sur des chaises posées çà et là dans les couloirs de l’hôpital – la tribune parle de plusieurs heures jusqu’à des «jours d’attente». Les fugues, agitations voire les bagarres entre les malades augmentent. Une fois hospitalisés, les patients ne peuvent bénéficier d’un accompagnement digne de ce nom et ressortent plus vite, donc «rechutent plus vite», explique Antoine Pelissolo, psychiatre à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil (Val-de-Marne), au Parisien.
De son côté, le personnel hospitalier se dit de plus en plus épuisé et dépassé par la situation. Si ce «travail d’équipe peut être passionnant» et «beaucoup de soignants ont heureusement cette vocation» rappelle la tribune, on leur «demande de passer un temps long auprès des patients». La quête incessante de productivité ne peut être compatible avec le soin des malades. «On demande aux soignants de faire toujours plus vite, avec moins de personnels et moins de moyens, et pèsent sur eux de plus en plus de charges administratives», déplorent les signataires.
Conséquence inévitable : un recours accru à l’isolement et à la contention, «ce qui ne devrait pas arriver», alertent-ils. Dans ce contexte-là, le personnel hospitalier, éreinté, se retrouve fréquemment en congé maladie ou ne souhaite qu’une chose, assure la tribune, «changer de poste, d’hôpital, voire de métier», ce qui réduit comme peau de chagrin les effectifs et détériore encore la prise en charge des malades. Le serpent se mord la queue. «Le principal motif de découragement des personnels n’est pas le montant des rémunérations, écrivent-ils, mais les conditions de travail, le stress, le sentiment d’épuisement et d’insécurité, et le décalage entre les aspirations professionnelles et la réalité du travail imposé.»
Embaucher plus de soignants, la principale revendication
Pour montrer le désarroi des soignants, les signataires citent un moment, un dimanche d’avril, où 18 patients attendent une hospitalisation psychiatrique – tous dans un état grave –, dans les urgences d’un grand hôpital de la région parisienne. «Pour accueillir, évaluer, rassurer, surveiller, soigner, contacter les familles et les hôpitaux de ces 18 personnes : un psychiatre et un infirmier, et des locaux insuffisants», s’attristent-ils.
Et d’avancer des pistes de solution précises : recruter du personnel et rendre plus attractif le métier. «La définition de ratios minimaux de soignants par service est une nécessité vitale», réclament-ils, rappelant l’inquiétant rapport du Sénat en 2022. Jusque-là, les autorités «s’y refusent», déplorent-ils, «craignant de ne pas avoir les moyens de financer de telles mesures, mais cette abstention risque de coûter beaucoup plus cher à notre société très rapidement».
C’est pourquoi les 75 soignants s’en réfèrent, non pas à leur ministre de la Santé, Brigitte Bourguignon, mais à la Première ministre, Elisabeth Borne. «L’engagement doit venir de plus haut», clament-ils. Pour éviter toute maltraitance, il faut continuer à développer des «soins ambulatoires», «la prévention des risques», mais aussi soutenir «quoi qu’il en coûte» les hôpitaux et leur prise en charge plus réactive. Pour que ce dimanche d’avril ne se reproduise plus.