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Décryptage

Lutte contre les déserts médicaux : ce que l’on sait sur les deux jours par mois imposés par le gouvernement à tous les médecins

François Bayrou a dévoilé ce vendredi 25 avril son plan pour lutter contre les déserts médicaux. «Libération» fait le point sur la mesure phare : imposer à tous les médecins de pratiquer deux jours par mois dans un secteur sous-doté.
Le Premier ministre avec des professionnels de santé lors de sa visite du centre de santé Calvinet sur le thème des déserts médicaux à Puycapel, dans le Cantal, le 25 avril 2025. (Ed Jones/AFP)
publié le 25 avril 2025 à 19h13

Le gouvernement a sorti son ordonnancier et prescrit deux jours par mois pour les médecins dans les déserts médicaux. La mesure est censée venir au secours des 6 millions de Français sans médecin traitant. Priorité du Premier ministre, François Bayrou a dévoilé ce vendredi 25 avril son plan pour faciliter l’accès au soin. Si le gouvernement a renoncé à restreindre la liberté d’installation des médecins, l’Exécutif souhaite néanmoins imposer jusqu’à deux jours par mois de temps de consultation aux médecins dans les zones prioritaires du territoire. Que contient cette mesure ? A-t-elle déjà été instaurée ? «Libération» fait le point.

En quoi consiste la mesure prônée par le chef du gouvernement ?

L’exécutif privilégie la méthode douce : deux jours par mois pour chaque médecin dans un désert médical plutôt qu’une installation permanente dans une zone sous-dotée. Le Premier ministre évoque ainsi un «principe de solidarité» de la part du corps médical et présente la mesure comme une alternative à la «fin de la liberté d’installation» des praticiens libéraux.

«Chaque médecin généraliste ou spécialiste qui exerce dans un territoire bien pourvu devra consacrer un ou deux jours par mois à des consultations dans les zones qui sont les plus en difficulté», a précisé le Premier ministre François Bayrou au terme d’une visite à Puycalvet, une petite commune rurale à une quarantaine de kilomètres d’Aurillac.

Tous les soignants sont concernés par cette mesure : les généralistes, les spécialistes, les jeunes médecins et les plus anciens, qui pourront se faire remplacer dans leur cabinet principal. Cela représente 30 millions de consultations. Il y aura des «contreparties financières» dont le montant n’a pas été précisé ce vendredi. «A contrario, les médecins qui refuseraient se verront pénalisés», précise une source gouvernementale.

Par ailleurs, le gouvernement souhaite, dans le délai d’un mois, l’élaboration d’une cartographie des zones particulièrement prioritaires, dites «zones rouges». Ce travail va être confié aux agences régionales de santé (ARS), «en lien étroit avec les préfets et les élus locaux», afin de «définir département par département les zones les plus prioritaires» pour l’application de ce plan.

La région Centre-Val de Loire est la plus dépourvue en médecins. C’est la densité médicale la plus faible (263,8 médecins pour 100 000 habitants) relevée en mars par le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom). Le département d’Eure-et-Loir y est ainsi passé de 117,3 médecins généralistes pour 100 000 habitants en 2010 à 69,8 en 2025. C’est dans cette région qu’on trouve le plus de personnes sans médecin traitant : 16 % selon l’UFC-Que Choisir fin 2024, 25 % selon la région la semaine passée.

Mais les indicateurs font aussi remonter des trous d’air dans les zones dites favorisées. L’Ile-de-France est ainsi «l’une des régions les mieux dotées, chez les spécialistes médicaux et chirurgicaux, mais compte parmi les plus faibles densités chez les généralistes», pointe le Cnom.

Comment les médecins réagissent ?

La volonté d’imposer deux jours par mois dans les déserts médicaux passe mal chez les professionnels de santé. «On n’oblige pas les médecins libéraux, c’est dur à entendre mais c’est comme ça», a réagi sur France Inter Jérôme Marty, médecin généraliste et président du syndicat UFML (Union française pour une médecine libre). Le praticien souligne au passage que les médecins libéraux ne sont pas «des agents de l’État» et estime que si le gouvernement dit : «on va vous obliger, c’est l’échec assuré».

En bloc, les médecins dénoncent une mise à mal de «l’attractivité de la médecine libérale, aujourd’hui le premier rempart du système de santé».

Selon le docteur Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général de MG France, le syndicat majoritaire chez les libéraux, «une mesure de contrainte ne peut que diminuer l’offre de soins». Dans un entretien réalisé par franceinfo ce vendredi, Jean-Christophe Nogrette considère que «si un médecin dit “je ne peux pas”, c’est parce qu’il ne peut pas, ce n’est pas pour s’amuser». Il ajoute : «la solidarité, c’est toujours sur la base du volontariat».

Des manifestations de médecins anti-régulation sont prévues le mardi 29 avril dans toute la France, MG France, syndicat majoritaire chez les libéraux, évoque «une fermeture des cabinets pour ceux présents à la manifestation du 29 avril».

Les Jeunes médecins, eux, ont lancé un appel à une grève dure avec fermeture des cabinets dès le lundi 28 avril. «On a essayé la méthode douce, le dialogue et la pédagogie avec les députés, et ça n’a pas fonctionné, a ainsi fait valoir Anna Boctor, la représentante de Jeunes Médecins. Il est temps de passer à une réponse plus musclée dans une logique de bras de fer.»

Quelles sont les expériences déjà existantes pour lutter contre les déserts médicaux ?

Si l’emploi d’une mesure coercitive pour pallier l’absence de médecins dans certaines zones géographiques est une première, certains professionnels de santé n’ont pas attendu le gouvernement pour se mobiliser.

A l’instar des «flying doctors» de la Nièvre. Depuis 2023, pneumologues, cancérologues, généralistes encore gynécologues ont pris l’habitude d’effectuer un «pont aérien» entre les villes de Dijon et Nevers. Un trajet de 35 minutes dans les airs contre trois heures en voiture. Avec un médecin généraliste pour plus de 2 000 patients, contre 854 au niveau national, 15 à 20 % des malades n’ont pas de médecin traitant dans le département de la Nièvre. De quoi forcer les médecins à prendre l’avion.

Les initiatives peuvent être aussi plus personnelles. Du Grand-Est à la Bretagne, en passant par la Normandie, la médecin généraliste Anaïs Werestchack, couronnée miss Auvergne en 2021 et son compagnon kinésithérapeute Brice ont entrepris un tour de France des déserts médicaux durant toute l’année 2024. Ensemble, ils ont remplacé quelque 31 médecins et kiné et soigné plus de 5 000 patients rencontrés dans 45 départements. Les deux volontaires, qui ont pris le relais de soignants fatigués, ont entre autres regretté le fait que l’Assurance maladie n’ait pas mis en place de structure ou de site internet permettant de mettre en relation les médecins qui cherchent des remplaçants, et d’éventuels candidats.