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Malgré leurs engagements, des banques françaises continuent de financer l’industrie du tabac

Même si les volumes tendent à diminuer, les groupes bancaires ont poursuivi leurs financements du secteur du tabac, selon un rapport de l’organisme d’investigation Profundo. La Société Générale est particulièrement visée.
La Société Générale a accordé à elle seule 4,3 milliards de dollars de crédits entre 2018 et 2023. (Vincent Nguyen/Riva-Press.Libération)
publié le 6 mars 2024 à 11h50

Près de 5,3 milliards d’euros en cinq ans. Ce serait le volume de crédits accordés par des banques françaises aux cigarettiers, affirme un rapport de l’organisme d’investigation Profundo, commandé par l’Alliance contre le tabac. «Malgré le désastre humain, sociétal et environnemental que représente l’industrie du tabac, celle-ci continue de bénéficier de soutien financier pour perpétuer ses activités», regrette l’association ce mercredi 6 mars. Sont particulièrement visés : Crédit Agricole et surtout la Société Générale. Et l’Alliance contre le tabac de fustiger : «Ces montants sont d’autant plus indignant qu’ils émanent directement d’acteurs s’étant engagés publiquement à cesser tout financement du tabac, il y a de ça quelques années.»

Ces flux concernent en majorité des services de souscription d’émission d’obligations mais aussi des prêts. Dans le détail, la Société Générale a accordé à elle seule 4,3 milliards de dollars de crédits entre 2018 et 2023 et le Crédit agricole, 957 millions. «Ce sont les seules institutions financières françaises ayant été identifiées comme financeurs de l’industrie du tabac entre 2018 et 2023», précise le rapport. British American Tobacco (2 milliards), Philip Morris International (1,4 milliard), Imperial Brands (1,2 milliard) et Japan Tobacco International (720 millions) sont les groupes destinataires.

Néanmoins, depuis 2018, ces montants ont lourdement chuté, passant de plus d’un milliard par an entre 2018 et 2020, à moins de 300 millions depuis 2021 et seulement 9 millions en 2023. Mieux sur ce point, le Crédit agricole ne financerait plus aucune entreprise du tabac depuis 2021 et la Société Générale est passée d’un pic à près de 1,5 milliard en 2020 à, «contrairement à son engagement» de les supprimer totalement, 9 millions l’an dernier. «Si les décisions du Crédit agricole et de la Société Générale quant à leur désinvestissement de l’industrie du tabac sont les bienvenues, elles interviennent particulièrement tardivement, notamment au regard des montants mis à profit de l’industrie du tabac depuis 2018, analyse Profundo. Ces financements ont permis à l’industrie du tabac de maintenir son commerce mortifère.»

«La lutte contre le tabagisme se joue aussi sur le plan financier»

Ces deux banques ne sont pas les seuls groupes financiers à alimenter le secteur du tabac. Dans l’industrie de la cigarette, «une analyse de l’historique [des] investissements révèle qu’ils ont tendance à diminuer depuis 2018 même si le montant actuel (733 millions de dollars) reste élevé, en particulier au regard des engagements publics pris par les acteurs concernés», explique le rapport. Le groupe BPCE, Crédit agricole, BNP Paribas et AXA, «pourtant tous signataires du Tobacco-Free Finance Pledge», sont cette fois-ci visés. Depuis 2021, Groupama a même augmenté ses investissements dans le secteur.

Même si la consommation recule à travers le monde, le tabac reste néfaste pour la santé mondiale. Et même si d’après deux récentes publications scientifiques, l’espérance de vie remonte presque au niveau des non-fumeurs après dix ans d’abstinence, des perturbations du système immunitaire peuvent toutefois persister plusieurs années après l’arrêt. Le tabac tue d’ailleurs encore chaque année plus de 8 millions de personnes dans le monde, dont 1,3 million de fumeurs passifs, selon l’OMS. Mi-février, un fonds mondial de 75 millions de dollars a été créé pour financer la lutte contre cette substance. Il sera géré par la Banque mondiale.

«Soyons réalistes : au-delà des politiques de santé publique, la lutte contre le tabagisme se joue aussi sur le plan financier. […] Or si nous souhaitons mettre définitivement fin à ce fléau humain et environnemental, nous avons besoin de l’adhésion et de la collaboration de tous les acteurs, y compris ceux issus du monde de la finance», explique Marion Catellin, Directrice de l’ACT-Alliance contre le tabac : «Il est impensable qu’aujourd’hui encore nos institutions financières soient complices d’une industrie qui tue un consommateur sur deux.»