Les ennuis judiciaires s’accumulent pour la police à Marseille. Trois agents de l’antenne du Raid de la ville étaient toujours placés en garde à vue ce mardi 8 août au soir. Selon un communiqué de la procureure de la République diffusé plus tôt dans la journée, dans le cadre de l’instruction ouverte début juillet après la mort de Mohamed Bendriss, cinq policiers avaient été placés en garde à vue. Deux ont depuis été libérés.
Cet homme de 27 ans, de nationalité algérienne, a vraisemblablement été tué par un tir de lanceur de balles de défense (LBD) qui l’a atteint au thorax, au niveau cœur, dans la nuit du 1er au 2 juillet, selon les premiers éléments de l’enquête consultée par Libération et Mediapart. «Plusieurs autres policiers sont également convoqués ce jour afin d’être entendus en qualité de témoins», ajoute le parquet.
Cette nuit-là, des révoltes des quartiers populaires sont en cours après la mort de Nahel M., à Nanterre, le 27 juin, tué au volant d’une voiture par le tir d’un agent. A Marseille, plusieurs magasins sont pillés et plusieurs feux sont allumés dans les rues du centre-ville. Des vidéos de cette soirée, postées sur les réseaux sociaux, attestent de la violence de la répression policière et notamment de multiples tirs d’agents du Raid avec des LBD et des fusils de calibre 12 équipés de munitions appelées «beanbags». Cette unité est habituellement utilisée en cas d’attaque terroriste ou pour faire face à des membres de réseaux criminels, potentiellement armés. C’est également cette nuit-là, que Hedi R. a été gravement blessé par des policiers de la brigade anticriminalité de la ville, dont quatre agents ont été mis en examen pour violences volontaires aggravées et l’un d’eux, placé en détention provisoire.
Selon ses proches, quelques minutes avant de mourir, Mohamed Bendriss observait ces événements. Sur une séquence qu’il a lui-même filmée et postée sur Snapchat, il assiste de loin à une interpellation à 00h49, dans une rue commerçante proche du Vieux-Port. Il s’effondre quelques minutes plus tard sous les yeux de plusieurs témoins devant l’immeuble où habite sa mère, sur le cours Lieutaud.
«Traumatisme balistique»
Le décès de Mohamed Bendriss est prononcé le dimanche 2 juillet, à 2 h 05, quelques instants après son arrivée à l’hôpital de la Timone. La médecin réanimatrice qui a tenté de le sauver relève deux marques suspectes sur son corps, en forme de «cocarde», typique des traces d’impact des LBD utilisés par les forces de l’ordre. L’une est située à l’intérieur de la cuisse droite et l’autre sur le thorax, au niveau du cœur. Une autopsie est réalisée à 14 heures le même jour et étaye ces soupçons. Les deux médecins légistes concluent à une «absence d’état pathologique antérieur» et confirment qu’il y a bien un «traumatisme balistique» au niveau de la cuisse et du thorax causé par le même type de projectile.
L’autopsie révèle également une contusion de la pointe du cœur pouvant être associée à la marque visible sur le thorax de Mohamed Bendriss. Les médecins légistes parlent alors d’ «un «commotio cordis [coup sur le cœur]» pouvant être responsable de l’arrêt cardio-circulatoire initial». Ce terme médical renvoie à une cause possible de défaillance cardiaque provoquée par un choc violent. Ce n’est pas la première fois que l’utilisation de cette arme est liée à un décès. Des médecins s’étaient penchés sur les risques d’arrêt cardiaque en cas de tir de flash-ball (dont les caractéristiques sont proches des actuels LBD) au niveau de la poitrine. En 2010, également à Marseille, Mustapha Ziani, un homme d’une quarantaine d’années, est mort dans ces circonstances, après avoir reçu un tir de cette arme au niveau du cœur.
«Faute politique grave»
Une première exploitation des images de vidéosurveillance de la ville réalisée par la police judiciaire quelques heures après sa mort avait permis de voir Mohamed Bendriss circuler sur son scooter sur le cours Lieutaud, à environ 200 mètres du lieu où il sera ensuite pris en charge par les secours. «[La victime] semble recroquevillée sur elle-même», notaient les enquêteurs. Depuis, l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) a récupéré d’autres vidéos permettant de voir le moment où Mohamed Bendriss a été atteint par deux tirs, selon nos informations. Ce sont ces images qui ont permis de remonter jusqu’aux policiers du Raid.
La veille de la mort de Mohamed Bendriss, son cousin Abelkarim Y. avait été mutilé, alors qu’il se trouvait rue Saint-Ferréol, une voie pavée du même quartier. Une autre enquête a été ouverte par le parquet de Marseille pour déterminer les circonstances de sa blessure. Selon son témoignage, le jeune homme, également algérien, a été visé par des policiers pouvant correspondre à ceux du Raid, alors qu’il ne représentait aucun danger. «L’ordre qui a été donné de faire intervenir des policiers du Raid qui n’ont pas vocation à intervenir dans des violences urbaines est une faute politique grave, réagit Arié Alimi, l’avocat de la famille. Elle a causé des morts et des mutilations.»