Qui le remarque ? Depuis plus d’un mois, dans le vieux palais de justice de Paris, installé dans la grande salle construite alors pour le procès du 13 Novembre, se déroule celui, en appel, du Mediator. Peu de monde, quelques rares journalistes viennent y faire un tour. Une petite dizaine d’avocats des parties civiles ou de la défense sont au rendez-vous, loin de la centaine d’entre eux que l’on voyait en première instance. Quelques rares victimes passent, puis s’en vont. Une équipe de chercheuses est, elle, présente, auscultant les relations «justice /science». Et une drôle d’interrogation flotte : à quoi bon recommencer ce procès, censé durer jusqu’à cet été ?
Déjà plus d’une vingtaine d’audiences et que s’est-il passé ? Le 17 janvier, Jean-Philippe Seta, bras droit du PDG de Servier jusqu’en 2013, a admis une «erreur d’appréciation». «Nous nous sommes trompés dans l’évaluation du risque. Nous avons fait une erreur sévère, sérieuse, dont les conséquences ont été gravissimes pour les victimes», a-t-il reconnu devant la cour d’appel. Des propos qu’il avait quasi tenus en première instance. Jean Philippe Seta n’a pas changé. Il dit : «Cette erreur d’appréciation, aussi grave fut-elle, mérite-t-elle une qualification pénale ? La certitude que j’ai, c’est qu’il n’y a pas eu de volonté délibérée de tromper les autorités sanitaires et les patients.» Rien d’autre. Le parquet étant lui convaincu que Servier a caché volontairement les effets anorexigènes du Mediator, et cela alors qu’il savait que ces effets-là étaient délétères pour la santé.
«Signal très inquiétant»
Le 30 janvier, Jean-Pol Tassin, pharmacologue et directeur de recherche émérite à l’Inserm, a essayé de défendre Servier et surtout de laver son propre honneur. Ce n’était pas facile. Certes, il a reconnu avoir touché 300 000 euros pour la rédaction d’un contre-rapport d’expertise sur le Mediator. Plus étonnant, ce même pharmacologue a expliqué avoir été payé pour son témoignage en première instance, «de l’ordre de 20 000 euros». Et il a reconnu qu’il sera également rémunéré pour sa venue devant la cour d’appel de Paris. L’homme s’est montré sûr de lui. Il a assuré «avoir fait son travail de la façon la plus consciencieuse possible». «Je ne pense pas que l’argent du laboratoire ait une influence sur mon travail. Il me rend probablement plus sérieux. Compte tenu du fait qu’il y a de l’argent, je le fais de façon plus attentive», a-t-il continué. Drôle d’argument, qui laisse un sentiment que rien n’a vraiment changé. En tout cas, dans ce procès en appel, aucun politique n’est appelé à la barre. Aucun des responsables non plus, qui ont continué à proposer le Mediator au remboursement, comme si, au-delà même de ses effets secondaires, il avait une quelconque utilité thérapeutique.
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Que reste-t-il, alors ? La semaine dernière, est venu témoigner un médecin peu connu mais qui s’est révélé important dans l’affaire car il a donné une base réelle aux accusations contre Servier : le docteur Alain Weill, aujourd’hui 65 ans. L’homme est attachant, ni prétentieux ni trop sûr de lui. Il fait bien son travail et c’est déjà beaucoup. Médecin-conseil à l’Assurance maladie, aujourd’hui directeur ajoint d’Epi-Phare (1), Weill est spécialisé dans les études observationnelles des médicaments, c’est-à-dire l’étude de leurs effets dans la vie courante. A l’audience, il a raconté les choses simplement. Nous sommes alors en 1997, plus de douze ans avant que le Mediator ne soit retiré du marché. Le Dr Weill assiste à une conférence à Dijon, où un des intervenants évoque les prescriptions hors autorisation de mise sur le marché du Médiator, c’est-à-dire hors des indications autorisées par l’Assurance maladie. On prescrit alors massivement ce médicament, un antidiabétique, pour faire maigrir. «On parle très clairement que c’est une amphétamine, donc dangereux, raconte Alain Weill. C’est un signal très inquiétant. A l’époque, tout le monde savait qu’il y avait un détournement.» A la vue de ce travail, une lettre adressée à la Direction générale de la santé et à l’Agence du médicament, est écrite par les trois médecins-conseils de la Sécu, démarche peu fréquente. Quelques actions sont alors entreprises contre certains médecins. Et d’ailleurs, cela a un impact, avec une baisse des ventes de 9 millions de boîtes de Mediator à 6 millions en 2008. «Cette baisse a beaucoup agacé Servier, qui s’est plaint de l’inlassable acharnement de l’AM», a poursuivi Alain Weil.
«Risque relatif élevé»
Il n’empêche, cela a continué. Des années encore, des médecins ont continué de prescrire un produit dangereux – les autorités, pour des raisons confuses, ne faisant rien. Et il faudra attendre le coup de semonce de la pneumologue Irène Frachon en 2010, ainsi que, juste avant, la fameuse étude d’Alain Weill. Celui-ci la raconte à la barre : «C’est Catherine Hill, une statisticienne, qui me parle, lors d’un congrès en 2009, d’une querelle à l’agence du médicament sur le Mediator. Je ne la connaissais pas, je lui ai dit que l’on pouvait faire une étude en deux ou trois semaines avec nos bases de données, en recoupant les prescriptions et les patientes hospitalisées ou atteintes de valvulopathies. Ce que je fais. On monte une cohorte de patients entre 40 et 69 ans, de diabétiques, et on fait deux groupes : ceux qui ont pris du Médiator, ceux qui n‘en ont pas pris.» Etude simple, classique. Et résultat, rapide et on ne peut plus clair : ceux qui ont pris du Médiator ont un risque trois à quatre fois plus élevé d’être hospitalisés et de souffrir de valvulopathie. Rappelons que celle-ci est tout sauf anodine, transformant votre vie en cauchemar. «Au final, cela reste certes un risque absolu faible, note le Dr Weill, mais le risque relatif est élevé car beaucoup de personnes en ont pris.» Et de conclure : «Notre étude n’était pas parfaite, mais elle était simple et rapide.» Ils feront, un peu plus tard, un autre travail sur le nombre de décès. Et, à partir de ces travaux, le Mediator sera suspendu puis retiré.
Non sans raison, un avocat des parties civiles s’est demandé pourquoi avait-on attendu dix ans avant de réaliser cette étude. Quant à Alain Weill, interrogé par la défense de Servier qui critiquait la rapidité de son travail (moins de trois semaines), il a répondu : «Mais était-ce nécessaire de mettre dix ans de la part de Servier pour faire une étude similaire ?»
(1) Epi-Phare, organisme qui coordonne des études de pharmaco-épidémiologie à partir des données de l’Assurance maladie.