D’aussi loin qu’il se souvienne, Olivier Bonnot a toujours voulu être psychiatre. Il y a trente ans, alors qu’il était étudiant en médecine, il entendait déjà les blagues de ses camarades. «On ne nous prenait pas au sérieux. Pour eux, la psychiatrie, ce n’était pas de la vraie médecine.» Des clichés qui ont la vie dure. «Pourtant, non, nous ne passons pas notre temps à prescrire des médicaments. Non, notre métier n’est pas dangereux. Non, nous ne sommes pas des charlatans», énumère-t-il. Il le répétera le 31 janvier à l’occasion de la toute première nuit de la psychiatrie, qui se tiendra dans sept villes françaises : Bordeaux, Grenoble, Lille, Lyon, Strasbourg, Tours et Paris.
A l’origine de cet événement, la campagne #ChoisirPsychiatrie, portée par Olivier Bonnot, président du Collège national des universitaires de psychiatrie, ainsi que d’autres professionnels. Sur son temps libre, l’équipe se démène pour lutter contre la désaffection vis-à-vis de cette spécialité. «Et cela ne se fera pas sans lever les préjugés qui persistent», estime le psychiatre pour enfants et adolescents.
Avec plusieurs décennies de carrière à son actif, Olivier Bonnot, 55 ans, a vu le secteur se dégrader en France. Fermeture de lits, désintérêt des politiques, manque de budget… L’attractivité de la discipline en a souffert. Alors que la santé mentale a été décrétée grande cause nationale par l’éphémère Premier ministre Michel Barnier – puis par celui qui a pris sa suite, François Bayrou – le nombre de psychiatres est passé de 14 272 à 13 344 entre 2016 et 2023, selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). L’objectif de la campagne est de renforcer le secteur en nombre, mais également de le rajeunir : en janvier 2021, l’âge moyen des psychiatres libéraux et salariés était de 52 ans et de 62 ans chez les pédopsychiatres, selon la Drees.
Les besoins, eux, sont grands : en 2023, les pathologies psychiatriques étaient le premier poste de dépenses de l’assurance maladie, avec 23 milliards d’euros. Elles étaient aussi la première affection longue durée devant les cancers. Un état des lieux qui n’a pas suffi à remplir les effectifs en études de médecine. En octobre, 65 postes d’internes sont restés vacants sur les 489 disponibles. Avec #ChoisirPsychiatrie, Olivier Bonnot espère que ces chiffres progresseront en 2025. «Nous n’avons pas choisi ce métier par hasard ou par dépit, souligne-t-il. Ce que nous voulons, c’est transmettre notre passion et assurer l’avenir de cette discipline essentielle.»
«Les psychiatres n’aident pas les patients»
Horaires à rallonge, manque de places pour accueillir les patients, petits salaires… Autant de choses qui ont fait peur à Tristan, étudiant en médecine de 24 ans, quand il hésitait encore à choisir psychiatrie. Avant de se rendre compte que ces conditions de travail difficiles se retrouvaient «partout dans l’hôpital public». Il n’empêche, les clichés associés à cette filière l’ont longtemps tracassé. «On entend dire que les psychiatres ne font que prescrire des médicaments, qu’ils n’aident pas vraiment les patients et leur imposent des choses… explique le jeune homme. Ces raccourcis m’ont fait douter.» Mais ses stages l’ont fait changer d’avis : «Il y a des tas de façons d’exercer ce métier, et sans doute de mauvais psychiatres. Mais si on le fait bien, on peut vraiment aider les patients.»
Reportage
Pour Salomé, 27 ans, la psychiatrie a été «une révélation». Quand elle a entamé ses études de médecine, elle se voyait gynécologue. Mais un stage en psychiatrie dans un hôpital parisien change la donne. Pour la première fois, cette étudiante à Marseille, membre de l’association locale des internes en psychiatrie L’Entonnoir, lit «d’une traite» un ouvrage de médecine, dédié à cette spécialité. «A partir de là, je n’ai plus rien voulu faire d’autre, se souvient-elle. C’est un pan de la médecine qui nous donne accès à une humanité que l’on ne trouve pas ailleurs.» Elle raconte l’histoire de Lola (1), 19 ans, hospitalisée pendant plusieurs mois après une tentative de suicide. Ensemble, elles ont réussi «redonner confiance en l’avenir» à la jeune patiente. Le jour où elle a quitté l’hôpital, Lola a glissé un «merci» à Salomé. «Je n’avais jamais ressenti une telle gratitude. C’est là qu’on voit toute l’importance de ce métier. Personne ne devrait hésiter à choisir cette spécialité.»
Inspiration anglaise
Nicolas Doudeau, président de l’Association française fédérative des étudiants en psychiatrie, milite pour que des témoignages comme celui de Salomé arrivent aux oreilles des jeunes étudiants en médecine. Il place dans la campagne #ChoisirPsychiatrie beaucoup d’espoir : «Je pense qu’on va remplir ces postes vacants quand les gens verront la richesse de notre travail.» S’il a bon espoir, c’est aussi parce que cette campagne française est inspirée d’une autre, appelée #ChoosePsychiatry, lancée par le Collège royal des psychiatres de Londres en 2017.
A l’époque, le pays était en proie à une importante crise du secteur. Depuis, le taux de postes pourvus a augmenté, jusqu’à atteindre «entre 98% et 100% chaque année», précise le Collège royal à Libération. Une amélioration qui a conduit le taux de remplissage de la spécialité psychiatrie à exploser, passant de 48,8 % en 2019 à 74,9 % en 2023.
(1) Le prénom a été modifié.