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Libération
Interview

Molnupivarir : «Pas un remède miracle contre le Covid-19, ni un substitut à la vaccination»

Le chercheur Germán Velásquez demeure prudent sur l’efficacité du médicament de Merck en attendant l’approbation des autorités sanitaires. Il pointe la gestion de l’épidémie de Covid par les pays riches, qu’il estime «financière et politique avant d’être sanitaire ou humanitaire».
Des pillules de Molnupiravir. La France en a déjà commandées 50 000, avant la validation par les autorités sanitaires. (Alamy/ABACA)
publié le 27 octobre 2021 à 20h45

Pour Germán Velásquez, conseiller spécial au «South Centre» (institut de recherches sur les pays en développement basé à Genève) et auteur de Vaccins, médicaments et brevets. La Covid-19 et l’impératif d’une organisation internationale, le possible traitement contre le Covid du laboratoire Merck ne doit pas masquer la nécessité d’en finir avec une politique de vaccins qui tient de l’apartheid sanitaire.

La licence volontaire octroyée par Merck au Medicines Patent Pool (MPP), qui permet de lever les brevets sur le Molnupiravir pour plus de 105 pays, va contribuer à «servir les intérêts de l’humanité» assure l’université américaine Emory, qui a coproduit le médicament. Vraiment ?

Le médicament se révélera peut-être efficace, sûr, à condition qu’il soit approuvé par les autorités sanitaires, mais ce ne peut pas être un remède miracle et ne peut se substituer à la vaccination ou la dissuader. Offrir un possible traitement à 105 pays est évidemment une bonne nouvelle, mais elle laisse ouverte la question de savoir ce qui se passera dans les pays en développement restants. L’OMS compte 194 pays membres… On peut se demander aussi si le fait d’annoncer publiquement qu’un médicament qui n’est pas encore approuvé par les autorités sanitaires va être donné gratuitement à des pays pauvres n’est pas une forme de pression pour l’approbation. Enfin, la communication de Merck sur son antiviral et les réactions qu’elle suscite illustre ce qu’il ne faut pas faire, d’un monde qui fonctionne à l’envers, et d’un contretemps dans le sens de l’histoire.

Pourquoi ?

On a un laboratoire qui assure qu’il développe un médicament candidat contre une maladie et des Etats, comme ce fut le cas du gouvernement français mardi, commande 50 000 doses du traitement, plutôt que passer une commande groupée de l’Union européenne et d’éviter une concurrence entre pays membres. L’histoire de la médecine depuis cent ans, c’est que les médicaments doivent être approuvés par les organismes de réglementation nationaux ou par l’Agence européenne des médicaments avant qu’un gouvernement communique sur le préachat de l’un d’entre eux.

Il n’en reste pas moins qu’il s’agit là d’un premier accord de licence pour un médicament lié au Covid. Pourra-t-il servir de levier et pousser d’autres entreprises à proposer des licences volontaires ou des pays de l’OMC à actionner le levier des licences obligatoires, possible depuis 2003 ?

C’est le cœur de la question. La vraie bonne nouvelle serait que des entreprises du médicament comme Pfizer ou Moderna accordent une licence volontaire, comme le demandent plus de 100 pays au sein de l’Organisation mondiale du commerce. D’autres produits Merck, déjà approuvés et pouvant sauver des vies, ne sont pas accessibles à la plupart des pays en développement. La firme américaine est-elle prête à faire un geste ?

Voilà un an, vous l’évoquiez, que l’Inde et l’Afrique du Sud, rejoints par plus de 100 pays, militent pour une exemption des droits de propriété intellectuelle sur les vaccins et autres traitements anti-Covid, pour les rendre plus accessibles. Pourquoi l’initiative n’avance pas ?

Si nous analysons la gestion nationale et internationale du Covid-19, depuis dix-huit mois, on se rend bien compte qu’elle est financière et politique avant d’être sanitaire ou humanitaire. Un seul exemple : lorsque le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, réclame le 4 août un moratoire éthique et scientifique sur la troisième dose du vaccin pour pouvoir mettre plus de doses à destination des Etats qui n’ont vacciné qu’une infime partie de leur population, des gouvernements, comme Israël et la France, commencent à appliquer la troisième dose quelques jours plus tard. Plus de 60 % de la population européenne a déjà bénéficié d’un schéma vaccinal complet, tandis que sur le continent africain, la couverture reste inférieure à 3 % de la population. L’annonce de l’achat d’un médicament qui n’a pas été approuvé signifie que le nationalisme sanitaire des pays industrialisés, qui ont le monopole des vaccins, est prêt à se poursuivre avec de possibles traitements.

Pourquoi Covax, l’initiative de l’ONU, patine-t-elle aussi ? Sur le 1,3 milliard de doses de vaccins que les pays développés se sont engagés à donner, seules 194 millions ont été fournis…

L’initiative Covax, à laquelle les pays membres de l’OMS se sont volontairement ralliés puis engagés en avril-mai 2020, a tout simplement échoué. Et elle a échoué pour la simple raison que si l’OMS est le gouvernement de la santé mondiale, personne ne peut gouverner… sans avoir la capacité de légiférer. Les pays industrialisés se sont engagés au niveau international à adopter une approche multilatérale, puis ont accumulé bilatéralement les vaccins disponibles en quantités limitées. Le seul moyen d’en sortir : permettre à l’OMS d’utiliser les instruments contraignants que sa Constitution autorise pourtant. Ce fut le cas avec la Convention contre le tabac, qu’aujourd’hui 164 pays ont ratifiée et qui est mise en œuvre par les législations nationales. Cet instrument de l’OMS n’a été utilisé qu’une seule fois au cours des soixante-quinze ans d’existence de l’organisation… La solution passe aussi par des «licences volontaires» avec la MPP, l’un des mécanismes possibles pour résoudre le problème de l’accès aux traitements et aux vaccins. Il existe d’autres mécanismes qui, si les pays industrialisés et l’industrie de ces pays n’ont pas la solidarité et la générosité nécessaires pour collaborer avec le MPP, devront être utilisés. Je fais référence à l’utilisation des flexibilités autorisées par l‘Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) de 2003, telles que les licences obligatoires. Ces deux mécanismes sont complémentaires, surtout en période de crise sans précédent comme celle que nous traversons.

Les pays du G20 ont reçu 15 fois plus de doses de vaccin Covid-19 par habitant que les pays d’Afrique subsaharienne. Que raconte cette faillite dans la solidarité planétaire ?

Qu’il s’agit non seulement d’un apartheid sanitaire, d’une inégalité médicale planétaire, mais aussi d’une myopie scientifique : la pandémie ne peut être jugulée au Nord si elle se poursuit au Sud. Une mutation du virus dans le Sud, à laquelle les vaccins déjà utilisés dans le Nord ne répondent pas, nous ferait reculer de deux ans. Personne ne sera en sécurité tant que nous ne serons pas tous en sécurité. Ne pas prendre les mesures qui s’imposent pour s’y attaquer globalement est un échec sans précédent de la solidarité internationale. Il y a 30 ans, les pays riches avaient eu le cynisme d’accumuler les médicaments antirétroviraux, au prix exorbitants pour les malades des pays pauvres où des dizaines millions de personnes sont mortes faute d’accès aux traitements. Avec le Covid-19, non seulement les leçons n’ont pas été tirées, mais la situation est encore plus grave car différente : les pays développés ne seront pas à l’abri de nouvelles vagues de la pandémie tant que la couverture vaccinale dans les pays en développement restera aussi faible.