Les craintes commencent à se confirmer. Au fil de l’installation du moustique tigre en France métropolitaine, les autorités et agences sanitaires s’inquiètent de l’impact des arboviroses, maladies qu’ils transmettent – en particulier la dengue, le chikungunya et le Zika. L’Agence nationale de sécurité sanitaire et de l’alimentation (l’Anses) en remet une couche ce vendredi 13 septembre : elle estime le risque «assez élevé» que des épidémies surviennent «dans les cinq prochaines années». La probabilité est «comprise entre 6 et 7, sur une échelle de 0 à 9». De quoi menacer de saturation les services de lutte contre les moustiques, ainsi que le système de soins – déjà bien à la peine.
L’alerte des scientifiques n’est pas nouvelle. En avril 2023, le Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars) prévenait le gouvernement d’un risque de multiplication de cas de ces maladies transmises par piqûres de moustique «au cours des prochains étés». La Direction générale de la santé avait déjà saisi l’Anses (en août 2022) pour qu’elle évalue précisément la probabilité d’apparition d’épidémies. Il faut dire qu’Aedes albopictus – nom scientifique du moustique tigre – provoque déjà des épidémies annuelles en outre-mer. Son implantation est plus récente dans l’Hexagone, et date du début des années 2000. Il est maintenant présent dans 78 départements métropolitains sur 86, contre 70 en 2022. Ce nombre a été multiplié par 13 en l’espace de dix ans.
De plus en plus de cas autochtones
Conséquence : les cas de dengue et de chikungunya ne font qu’augmenter dans l’Hexagone. La première est une infection virale, le plus souvent bénigne, pouvant cependant entraîner de rares mais graves complications ; le second est rarement mortel mais très douloureux, potentiellement invalidant de quelques semaines à plusieurs années prolongées. Une cinquantaine de cas autochtones de dengue, c’est-à-dire infectés sur place, ont été détectés en 2023, après un record de 66 en 2022. Pour le moment, Santé publique France en a recensé 46 depuis mai 2024.
Jusqu’à présent, ils ont été identifiés dans des foyers localisés et il a toujours été possible de retracer l’origine des contaminations. Et ainsi de mener des opérations de démoustication dans les environs pour prévenir le risque d’épidémie – le moustique tigre est un piètre voyageur et pique à quelques centaines de mètres de son lieu de naissance. «On parle d’épidémie à partir du moment où il n’est pas possible de relier toutes les personnes infectées à un foyer. Cela veut dire que les transmissions échappent au dispositif de contrôle», précise Emeline Barrès, l’une des deux coordonnatrices de l’expertise, citée dans le communiqué de l’Anses. Mais mélangez présence du moustique tigre, conditions climatiques favorables à sa reproduction (notamment le cumul de jours chauds et de pluies), arrivée de personnes infectées depuis des zones de forte circulation des virus, possibilité de saturation de la lutte contre les moustiques au fil des cas et vous obtiendrez un cocktail à même de déclencher une épidémie.
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«Les moyens de prévention et de contrôle des arboviroses pourraient être rapidement saturés», prévient l’Anses. Les experts de l’Agence recommandent donc d’augmenter les moyens : plus d’argent, de personnes mobilisées et un meilleur matériel. «L’augmentation du nombre de cas avec les moyens actuels conduirait à une dégradation de la qualité des opérations, mais aussi des conditions de travail des personnes impliquées dans la surveillance.»
Et qui dit épidémie majeure signifie aussi répercussions sur le système de soins. «Le risque peut aussi exister si l’offre de soins, en particulier les médecins généralistes et les services d’urgence, est déjà saturée, comme cela peut être le cas pendant la période d’activité du moustique», souligne l’Anses. Ce fut le cas en 2020 aux Antilles, où les soignants ont dû faire face au Covid-19 et à une épidémie de dengue.
Face aux risques, il est donc indispensable d’anticiper. L’Agence préconise en premier lieu de mieux valoriser les expériences mises en place en outre-mer et de former les soignants aux facteurs de risque, ainsi qu’aux signaux d’alerte des formes graves des maladies. Une épidémie, même faible, pourrait également affecter l’économie, principalement le tourisme, avec une moindre fréquentation des territoires concernés. Et aggraver les inégalités sociales. En plus d’avoir une attention particulière sur les personnes défavorisées, l’Anses prône donc de mieux impliquer les citoyens dans la lutte, qui reste pour le moment bien verticale.