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Libération
Sonnette d'alarme

Opérations escargots sur les périphériques : que réclament les infirmiers libéraux ?

Ce lundi 12 février, les infirmiers libéraux ont réalisé des opérations escargots dans plusieurs grandes villes à l’appel du collectif des «Infirmiers libéraux en colère». Les praticiens de santé réclament une revalorisation de leurs indemnités à hauteur de l’inflation et une reconnaissance de la pénibilité de leur travail.
Les infirmiers libéraux se mobilisent a Gap avec une opération escargot, ils demandent une revalorisation, des actes et l'indemnité kilométrique. (Thibaut Durand/Hans Lucas via AFP)
publié le 12 février 2024 à 19h35

Répétition générale avant la mobilisation ce week-end. Lundi 12 février, des convois d’infirmières et d’infirmiers libéraux ont fortement perturbé la circulation sur les rocades de Bordeaux, Gap, Marseille, Dijon et Bayonne pour demander des revalorisations de leurs indemnisations à hauteur de l’inflation. Des opérations escargots qui sont appelées à se répéter ce samedi 17 février. Le collectif des «Infirmiers libéraux en colère» a lancé un appel national à la mobilisation qui a été relayé par le syndicat Convergence Infirmière.

Aux volants des ralentissements, les infirmiers libéraux estiment avoir été les «grands oubliés du Ségur de la Santé» selon Gaëlle Cannat. Elle-même infirmière libérale, la présidente du Collectif des infirmiers libéraux en colère n’a connu aucune revalorisation des actes de soins quelle prodigue aux patients depuis 2009. Seule son indemnité forfaitaire de déplacement pour a connu une augmentation à l’été 2023 après douze ans de stagnation. Celle-ci est passée de 2,50 euros par patient soigné hors du cabinet à 2,75 euros. «C’est dérisoire face à l’explosion du tarif de l’essence à la pompe et à l’augmentation de toutes nos charges», commente Ghislaine Sicre, la présidente du syndicat Convergence Infirmière (CI), avant d’énumérer les charges qui pèsent sur sa profession. Prévoyances santé, cotisations à l’Urssaf, logiciels nécessaires à la profession… Toutes ces dépenses sont «bien trop élevées aujourd’hui», face à un salaire qui est trop maigre.

«En 10 ans, on a perdu 20 % de pouvoir d’achat»

Si Ghislaine Sicre chiffre le revenu horaire moyen d’un infirmier «juste au-dessus du SMIC», le Collectif des infirmiers libéraux en colère préfère ne pas donner de chiffres. «C’est le problème des professions libérales, difficile de chiffrer les salaires», plaisante Gaëlle Cannat. Seule certitude en revanche, cette paie reste bien trop faible face à une inflation qui a explosé sur les dix dernières années. «En dix ans et avant 2023, on a perdu 20 % de pouvoir d’achat», résume la présidente du syndicat.

Pour compenser cette perte et pour rendre visite à tous leurs patients, les infirmiers multiplient les prises en charge, rallongent indéfiniment leurs journées. «Ce matin je me suis levé à 4 h 45, souffle Gaëlle Cannat, je ne sais pas si je vais avoir une pause à midi et je finirai certainement ma journée entre 18 heures et 19 heures.» Plus de 50 heures de travail hebdomadaire qui nécessitent de soulever du matériel parfois lourds, de porter des patients parfois lourds – selon une enquête réalisée par Convergence Infirmière plus de 40 % des infirmiers soulèvent entre 250 kilos et 750 kilos par jour – alors les professionnels espèrent une «reconnaissance de la pénibilité» de leur tâche.

56 % des cabinets fermés dans 5 ans

Une telle reconnaissance permettrait d’abaisser l’âge de départ à la retraite de 67 à 62 ans, une nécessité pour Ghislaine Sicre qui a relevé que «les infirmières ont des troubles musculosquelettiques importants, 76 % d’entre elles se disent fatigués, déprimés ou en burn-out» et que l’espérance de vie de sa branche d’activité est «diminuée de sept ans». Si, à 44 ans, Gaëlle Canant ne se voit «pas exercer ce métier jusqu’à 67 ans», le constat est d’autant plus frappant chez ses confrères : 56 % des cabinets fermeraient d’ici 5 ans selon une consultation réalisée auprès de 6 000 praticiens.

Une situation que craint la présidente de Convergence Infirmière qui a déjà noté l’apparition de «déserts infirmiers» dans certaines régions, comme aux confins de la Drôme et des Hautes-Alpes où les habitants de quatre communes doivent eux-mêmes s’administrer des soins. Une situation que les présidents dans deux principaux syndicats des infirmiers libéraux déplorent. Bien que la Fédération Nationale des Infirmiers (FNI) et le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil) ne soutiennent pas la forme que prennent les manifestations des infirmiers, ils cherchent à placer le gouvernement devant ses contradictions. «Le gouvernement nous vend une stratégie nationale de santé dont le soin à domicile serait le socle, soupire Daniel Guillerm, président du syndicat majoritaire de la FNI. Et à côté de ça, seuls les médecins sont augmentés. Ce n’est pas comme cela que les patients vont rester chez eux.»

Si le récent bras de fer entre les médecins et l’Assurance Maladie permet aux infirmiers en colères d’espérer une réouverture des négociations, il inquiète le président de la FNI qui craint de voir «l’enveloppe santé du pays» inéquitablement répartie entre les professions de santé. Dans le même ton, John Pinte, président du Sniil déplore la vision médicalo-centrée de la santé en France : «Notre système de santé fonctionne grâce à un ensemble de professionnels de santé. C’est l’ensemble de ce système qu’il faut reprendre, pas seulement et que c’est l’ensemble qu’il faut reprendre et pas se concentrer uniquement sur les médecins et les hôpitaux.»

«Pendant le Covid, le gouvernement n’a pas manqué de rappeler à quel point nous étions importants», ironise Gaëlle Cannat. Elle assume pleinement la filiation du mouvement des infirmiers avec la mobilisation des agriculteurs. «Sur les routes, les agriculteurs ont réussi à faire entendre leurs revendications très vite, alors nous aussi.»