Soudain, le président de l’Académie de médecine prend la parole, depuis son siège dans le public. «Le présent rapport a été adopté à 97 %», note Jean-Noël Fiessinger, il y a donc une «quasi-unanimité» des académiciens qui penchent pour une fuite de laboratoire dans la quête sur l’origine du Covid-19, conclut-il. L’institution a présenté son rapport, «De l’origine du Sars-CoV-2 aux risques de zoonoses et de manipulations dangereuses de virus», lors d’une conférence de presse ce mercredi 2 avril. Si Christine Rouzioux, virologue et coordinatrice du rapport, pense «qu’on n’aura jamais la réponse» à la question des conditions d’émergence de la pandémie qui a fait 168 000 morts en France, elle concède «une conviction» pour l’hypothèse d’une fuite de laboratoire, «soutenue par un faisceau de faits et d’arguments».
L’autre possibilité est une transmission naturelle de la chauve-souris à l’homme en passant par un animal intermédiaire non identifié dans le marché de Wuhan. Une piste qui «était plus que légitime» au début de la pandémie, note l’Académie dans son rapport qui n’apporte pas d’éléments nouveaux, mais offre une lecture de la littérature sur le sujet. On remarquera que les scientifiques français tenants de cette hypothèse n’ont pas été auditionnés par le groupe de travail. Aucun spécialiste étranger n’a été auditionné non plus, faute de temps, répond l’académie. Il faut dire que le débat sur les origines du Covid se tend, notamment en raison de l’absence de preuve irréfutable, d’un côté ou de l’autre, et devant l’opacité du régime chinois. Preuve de ces tensions, la chercheuse Florence Débarre, qui penche pour une origine naturelle de la pandémie, juge ce rapport «indigent scientifiquement» et «indigne de l’institution qui le publie». Ambiance. Jean-Claude Manuguerra, chef de la cellule d’intervention biologique d’urgence à l’Institut Pasteur et vice-président de Sago, le comité scientifique mis en place par l’Organisation mondiale de la santé pour donner un avis scientifique sur les origines du Covid, est plus policé. «Ce rapport n’est pas très précis. Il ne va pas tellement dans le fond et se base sur des généralités», nous dit-il. Lui-même a «tendance à penser que l’hypothèse la plus classique, celle d’une transmission naturelle, tient un peu plus la corde».
Développement de techniques à risques
«Il y a deux parties dans ce rapport. L’une sur l’enquête sur les origines. Et l’autre sur ce qu’on doit faire maintenant», intervient Jean-François Delfraissy, président du Comité national d’éthique et membre du groupe de travail à l’origine de ce document. C’est sur cette deuxième partie que l’Académie de médecine souhaite insister. «Dans les articles que je vois passer, personne ne parle de biosécurité», se désole Christine Rouzioux. De fait, si l’hypothèse d’une sortie du Sars-Cov-2 d’un laboratoire de Wuhan n’est pas certaine, elle n’en reste pas moins théoriquement possible. «L’idée de vouloir aller de l’avant et tirer les conséquences d’une des deux hypothèses me semble très très bien», abonde Jean-Claude Manuguerra.
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Deux éléments la rendent possible. D’une part, «la sous-estimation par les chercheurs eux-mêmes» du développement de techniques à risques. «La littérature récente décrit plusieurs exemples montrant qu’un certain nombre d’équipes poursuivent des expériences dans des conditions qu’elles estiment sans risque, alors que d’autres considèrent comme irresponsable de pratiquer de telles expériences jugées dangereuses, en raison de l’impossibilité d’en estimer les conséquences en cas d’accidents», souligne le rapport. En virologie, certaines pratiques méritent d’être questionnées. Des scientifiques n’hésitent pas à rendre plus dangereux des virus potentiellement pandémiques en leur faisant acquérir de nouvelles caractéristiques dans des recherches dites «de gain de fonction».
Créatin de boîtes noires
D’autre part, des chercheurs sont capables de synthétiser en laboratoire n’importe quel virus connu. En 2021, Patrick Berche, également auteur de ce rapport, demandait déjà, dans Libération, l’interdiction de ce type de pratique. Ici, l’Académie de médecine n’est pas aussi radicale. Elle propose une sensibilisation de la communauté et un encadrement des pratiques. Dans le détail, son plan passe par des formations sur le sujet du risque, la formation de cellules d’éthique pour évaluer les recherches à risques, un renforcement des règles de biosécurité et une harmonisation des pratiques à l’échelle internationale. «Le doute, la plausibilité d’une fuite de laboratoire donne tous leurs sens aux recommandations», commente encore Jean-Claude Manuguerra. D’ailleurs, l’Académie propose de s’inspirer des mesures prises au sein de l’Institut Pasteur pour encadrer ce type de recherches. Elle propose aussi d’innover en créant des boîtes noires, sur le modèle de l’aviation, dans lesquelles tous les actes d’un labo seraient enregistrés. Ce qui permettrait d’avoir aisément la vérité en cas d’accident. Presque un vœu pieux tant la Chine semble opaque et les Etats-Unis sur une pente obscurantiste.
En mettant ainsi l’accent sur les risques engendrés par les recherches en virologie, l’Académie de médecine avance, en revanche, des recommandations assez faibles pour réduire le risque de transmission naturelle des animaux aux humains. Elle ne prend pas position sur la destruction des habitats qui conduisent les espèces sauvages à rentrer en contact avec des humains, ni sur les élevages industriels qui constituent des incubateurs à virus, permettant à l’agent pathogène de se multiplier très vite. C’est d’ailleurs exactement ce qui est en train de se passer aux Etats-Unis, avec le virus de la grippe H5N1 chez les bovins. «Ce n’était pas notre propos», reconnaît Christine Rouzioux. Dommage.